bes, de bles et d'avoine, sans un bouquet d'arbres ni un coteau, image
saisissante et triste de la vie qu'on devait mener dans cette maison.
Une cloche sonna. C'etait pour le diner. Je descendis.
Mme Radevin prit mon bras d'un air ceremonieux et on passa dans la salle a
manger. Un domestique roulait le fauteuil du vieux qui, a peine place
devant son assiette, promena sur le dessert un regard avide et curieux en
tournant avec peine, d'un plat vers l'autre, sa tete branlante.
Alors Simon se frotta les mains: "Tu vas t'amuser," me dit-il. Et tous les
enfants, comprenant qu'on allait me donner le spectacle de grand-papa
gourmand, se mirent a rire en meme temps, tandis que leur mere souriait
seulement en haussant les epaules.
Radevin se mit a hurler vers le vieillard en formant porte-voix de ses
mains.
--Nous avons ce soir de la creme au riz sucre.
La face ridee de l'aieul s'illumina et il trembla plus fort de haut en bas,
pour indiquer qu'il avait compris et qu'il etait content.
Et on commenca a diner.
"Regarde," murmura Simon. Le grand-pere n'aimait pas la soupe et refusait
d'en manger. On l'y forcait, pour sa sante; et le domestique lui enfoncait
de force dans la bouche la cuiller pleine, tandis qu'il soufflait avec
energie, pour ne pas avaler le bouillon rejete ainsi en jet d'eau sur la
table et sur ses voisins.
Les petits enfants se tordaient de joie tandis que leur pere, tres content,
repetait: "Est-il drole, ce vieux?"
Et tout le long du repas on ne s'occupa que de lui. Il devorait du regard
les plats poses sur la table; et de sa main follement agitee essayait de
les saisir et de les attirer a lui. On les posait presque a portee pour
voir ses efforts eperdus, son elan tremblotant vers eux, l'appel desole de
tout son etre, de son oeil, de sa bouche, de son nez qui les flairait. Et
il bavait d'envie sur sa serviette en poussant des grognements inarticules.
Et toute la famille se rejouissait de ce supplice odieux et grotesque.
Puis on lui servait sur son assiette un tout petit morceau qu'il mangeait
avec une gloutonnerie fievreuse, pour avoir plus vite autre chose.
Quand arriva le riz sucre, il eut presque une convulsion. Il gemissait de
desir.
Gontran lui cria: "Vous avez trop mange, vous n'en aurez pas." Et on fit
semblant de ne lui en point donner.
Alors il se mit a pleurer. Il pleurait en tremblant plus fort, tandis que
tous les enfants riaient.
On lui apporta enfin sa part, une toute
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