rodeurs galants des stations a la mode. Absents cinq jours sur sept,
ils redoutaient les parties de campagne, les dejeuners sur l'herbe, les
lecons de natation et la rapide familiarite qui nait dans le desoeuvrement
des villes d'eaux. Dieppe, Etretat, Trouville leur paraissant donc a
craindre, ils avaient loue une maison batie et abandonnee par un original
dans le vallon de Roqueville, pres Fecamp, et ils avaient enterre la leurs
femmes pour tout l'ete.
Elles etaient grises. Ne sachant qu'inventer pour se distraire, la petite
baronne avait propose a la petite comtesse un diner fin, au champagne.
Elles s'etaient d'abord beaucoup amusees a cuisiner elles-memes ce diner;
puis elles l'avaient mange avec gaiete en buvant ferme pour calmer la soif
qu'avait eveillee dans leur gorge la chaleur des fourneaux. Maintenant
elles bavardaient et deraisonnaient a l'unisson en fumant des cigarettes et
en se gargarisant doucement avec la chartreuse. Vraiment, elles ne savaient
plus du tout ce qu'elles disaient.
La comtesse, les jambes en l'air sur le dossier d'une chaise, etait plus
partie encore que son amie.
--Pour finir une soiree comme celle-la, disait-elle, il nous faudrait des
amoureux. Si j'avais prevu ca tantot, j'en aurais fait venir deux de Paris
et je t'en aurais cede un...
--Moi, reprit l'autre, j'en trouve toujours; meme ce soir, si j'en voulais
un, je l'aurais.
--Allons donc! A Roqueville, ma chere? un paysan, alors.
--Non, pas tout a fait.
--Alors, raconte-moi.
--Qu'est-ce que tu veux que je te raconte?
--Ton amoureux?
--Ma chere, moi je ne peux pas vivre sans etre aimee. Si je n'etais pas
aimee, je me croirais morte.
--Moi aussi.
--N'est-ce pas?
--Oui. Les hommes ne comprennent pas ca! nos maris surtout!
--Non, pas du tout. Comment veux-tu qu'il en soit autrement? L'amour qu'il
nous faut est fait de gateries, de gentillesses, de galanteries. C'est la
nourriture de notre coeur, ca. C'est indispensable a notre vie,
indispensable, indispensable...
--Indispensable.
--Il faut que je sente que quelqu'un pense a moi, toujours, partout. Quand
je m'endors, quand je m'eveille, il faut que je sache qu'on m'aime quelque
part, qu'on reve de moi, qu'on me desire. Sans cela je serais malheureuse,
malheureuse. Oh! mais malheureuse a pleurer tout le temps.
--Moi aussi.
--Songe donc que c'est impossible autrement. Quand un mari a ete gentil
pendant six mois, ou un an, ou deux ans, il devient forc
|