grandes bouchees vite avalees. Mais l'odeur de la viande, presque aussitot,
l'attira vers la cheminee, et, ayant ote le couvercle du pot, il y plongea
une fourchette et fit sortir un gros morceau de boeuf, lie d'une ficelle.
Puis il prit encore des choux, des carottes, des oignons, jusqu'a ce que
son assiette fut pleine, et, l'ayant posee sur la table, il s'assit devant,
coupa le bouilli en quatre parts et dina comme s'il eut ete chez lui. Quand
il eut devore le morceau presque entier, plus une quantite de legumes, il
s'apercut qu'il avait soif et il alla chercher une des bouteilles posees
sur la cheminee.
A peine vit-il le liquide en son verre qu'il reconnut de l'eau-de-vie. Tant
pis, c'etait chaud, cela lui mettrait du feu dans les veines, ce serait
bon, apres avoir eu si froid; et il but.
Il trouva cela bon en effet, car il en avait perdu l'habitude; il s'en
versa de nouveau un plein verre, qu'il avala en deux gorgees. Et, presque
aussitot, il se sentit gai, rejoui par l'alcool comme si un grand bonheur
lui avait coule dans le ventre.
Il continuait a manger, moins vite, en machant lentement et trempant son
pain dans le bouillon. Toute la peau de son corps etait devenue brulante,
le front surtout ou le sang battait.
Mais, soudain, une cloche tinta au loin. C'etait la messe qui finissait; et
un instinct plutot qu'une peur, l'instinct de prudence qui guide et rend
perspicaces tous les etres en danger, fit se dresser le charpentier, qui
mit dans une poche le reste du pain, dans l'autre la bouteille
d'eau-de-vie, et, a pas furtifs, gagna la fenetre et regarda la route.
Elle etait encore toute vide. Il sauta et se remit en marche; mais, au lieu
de suivre le grand chemin, il fuit a travers champs vers un bois qu'il
apercevait.
Il se sentait alerte, fort, joyeux, content de ce qu'il avait fait et
tellement souple qu'il sautait les clotures des champs, a pieds joints,
d'un seul bond.
Des qu'il fut sous les arbres, il tira de nouveau la bouteille de sa poche,
et se remit a boire, par grandes lampees, tout en marchant. Alors ses idees
se brouillerent, ses yeux devinrent troubles, ses jambes elastiques comme
des ressorts.
Il chantait la vieille chanson populaire:
Ah! qu'il fait donc bon
Qu'il fait donc bon
Cueillir la fraise.
Il marchait maintenant sur une mousse epaisse, humide et fraiche, et ce
tapis doux sous les pieds lui donna des envies folles de faire la culbute,
comme un enfant.
Il
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