ent en Chinois, moi en boyard
russe, Flament en marquis, enfin chacun de nous prit un costume
different, meme notre cantiniere, la mere Dubois, qui survint dans le
moment et qui mit sur elle un riche habillement national d'une dame
russe. Comme nous n'avions pas de perruques pour nos marquises, la
perruquier de la compagnie les coiffa. Pour pommade, il leur mit du
suif et, pour poudre, de la farine; enfin elles etaient on ne peut pas
mieux ficelees, et, lorsque tout fut dispose, nous nous mimes en train
de danser. J'oubliais de dire que, pendant ce temps, nous buvions
force punch, que Melet, le vieux dragon, avait soin d'alimenter, et
que nos marquises, ainsi que la cantiniere, quoique supportant tres
bien la boisson, avaient deja le cerveau trouble, par suite des grands
verres de punch qu'elles avalaient de temps en temps, avec delices.
Nous avions, pour musique, une flute qu'un sergent-major jouait, et
le tambour de la compagnie l'accompagnait en mesure. On commenca par
l'air:
On va leur percer les flancs,
Ram, ram, ram, tam plam,
Tirelire, ram plam.
Mais a peine la musique avait-elle commence, et la mere Dubois
allait-elle en avant avec le fourrier de la compagnie, avec qui elle
faisait vis-a-vis, que voila nos marquises, a qui probablement notre
musique sauvage allait, qui se mettent a sauter comme des Tartares,
allant a droite et a gauche, ecartant les jambes, les bras, tombant
sur cul, se relevant pour y tomber encore. L'on aurait dit qu'elles
avaient le diable dans le corps. Cela n'aurait ete que tres ordinaire
pour nous, si elles avaient ete habillees avec leurs habits a la
russe, mais voir des marquises francaises qui, generalement, sont si
graves, sauter comme des enragees, cela nous faisait pamer de rire, de
maniere qu'il fut impossible, au joueur de flute, de continuer; mais
notre tambour y supplea en battant la charge. C'est alors que nos
marquises recommencerent de plus belle, jusqu'au moment ou elles
tomberent de lassitude sur le plancher. Nous les relevames pour les
applaudir, ensuite nous recommencames a boire et a danser jusqu'a
quatre heures du matin.
La mere Dubois, en vraie cantiniere, et qui savait apprecier la valeur
des habits qu'elle avait sur elle, car c'etait en soie tissee d'or et
d'argent, partit sans rien dire. Mais, en sortant, le sergent de garde
a la police, voyant une dame etrangere dans la rue, aussi matin, et
pensant faire une bonne capture, s'avanca vers elle et voulu
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