us fimes encore une petite etape, et, le 27, apres avoir
marche sans interruption jusqu'au soir, nous allames coucher pres de
Mojaisk; cette nuit, il commenca a geler.
Le 28, nous partimes de grand matin et, dans la journee, apres avoir
traverse une petite riviere, nous nous trouvames sur l'emplacement du
fameux champ de bataille encore tout couvert de morts et de debris de
toute espece. On voyait sortir de terre des jambes, des bras, et des
tetes; presque tous ces cadavres etaient des Russes, car les notres,
autant que possible, nous leur avions donne la sepulture. Mais, comme
tout cela avait ete fait a la hate, les pluies qui etaient survenues
depuis, en avaient mis une partie a decouvert. Rien de plus triste a
voir que tous ces morts qui, a peine, conservaient une forme humaine;
il y avait cinquante-deux jours que la bataille avait eu lieu.
Nous allames etablir notre bivac un peu plus avant, et nous passames
pres de la grande redoute ou le general Caulaincourt avait ete tue et
enterre. Lorsque nous fumes arretes, nous nous occupames de nous
abriter, afin de passer la nuit le mieux possible. Nous fimes du feu
avec les debris d'armes, de caissons, d'affuts de canon; mais, pour
l'eau, nous fumes embarrasses, car la petite riviere qui coulait pres
de notre camp et ou il se trouvait peu d'eau, etait remplie de
cadavres en putrefaction; il fallut remonter a plus d'un quart de
lieue pour en avoir de potable. Lorsque nous fumes organises, je fus
avec un de mes amis[23] visiter le champ de bataille; nous allames
jusqu'au ravin, a la place meme ou, le lendemain de la bataille, le
roi Murat avait fait dresser ses tentes.
[Note 23: Grangier, sergent. (_Note de l'auteur._)]
Le meme jour, le bruit courut qu'un grenadier francais avait ete
trouve sur le champ de bataille, vivant encore: il avait les deux
jambes coupees, et, pour abri, la carcasse d'un cheval dont il s'etait
nourri de la chair, et, pour boisson, l'eau d'un ruisseau rempli de
cadavres. L'on a dit qu'il fut sauve: pour le moment, je le pense
bien, mais, par la suite, il aura fallu l'abandonner, comme tant
d'autres. Le soir de cette journee, la faim commenca a se faire sentir
chez quelques-uns qui avaient epuise leurs provisions. Jusqu'alors
chacun, chaque fois que l'on faisait la soupe, donnait sa part de
farine, mais, lorsque l'on s'apercut que tout le monde n'y contribuait
plus, l'on se cacha pour manger ce que l'on avait; il n'y avait que la
soupe de viande
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