sque notre bivouac fut forme, et, avec les
debris des maisons, nous trouvames encore assez de bois pour faire du
feu et bien nous chauffer. Mais deja tout nous manquait, et nous
etions tellement fatigues, que l'on n'avait pas la force de chercher
un cheval pour le voler et le manger ensuite, de maniere que nous
primes le parti de nous reposer. Un soldat de la compagnie m'avait
apporte des nattes de jonc pour me coucher: les ayant mises devant le
feu, je m'etendis dessus et, la tete sur mon sac, les pieds au feu, je
m'endormis.
Il y avait peut-etre une heure que je reposais, lorsque je sentis, par
tout mon corps, un picotement auquel il me fut impossible de resister.
Je passai machinalement la main sur ma poitrine et sur plusieurs
parties de mon individu: quel fut mon effroi lorsque je m'apercus que
j'etais couvert de vermine! Je me levai, et en moins de deux minutes
j'etais nu comme la main, jetant au feu chemise et pantalon. C'etait
comme un feu de deux rangs, tant cela petillait dans les flammes, et,
quoiqu'il tombat de la neige par gros flocons sur mon corps, je ne me
rappelle pas avoir eu froid, tant j'etais occupe de ce qui venait de
m'arriver! Enfin, je secouai au-dessus du feu le reste de mes
vetements dont je ne pouvais me defaire, et je remis la seule chemise
et le seul pantalon qui me restaient. Alors, triste et ayant presque
envie de pleurer, je pris le parti de m'asseoir sur mon sac, et, la
tete dans mes mains, couvert de ma peau d'ours, eloigne des maudites
nattes sur lesquelles j'avais dormi, je passai le reste de la nuit.
Ceux qui prirent ma place n'attraperent rien: il parait que j'avais
tout pris.
Le jour suivant, 5 novembre, nous partimes de grand matin. Avant le
depart, l'on fit, dans chaque regiment de la Garde, une distribution
de moulins a bras pour moudre le ble, si toutefois on en trouvait;
mais comme l'on n'avait rien a moudre et que ces meubles etaient
pesants et inutiles, l'on s'en debarrassa dans les vingt-quatre
heures. Cette journee fut triste, car une partie des malades et des
blesses succomberent; ils avaient, jusqu'a ce jour, fait des efforts
surnaturels, esperant atteindre Smolensk, ou l'on croyait trouver des
vivres et prendre des cantonnements.
Le soir, nous arretames pres d'un bois ou l'on donna l'ordre de former
des abris, afin de passer la nuit. Un instant apres, notre cantiniere,
Mme Dubois, la femme du barbier de notre compagnie, se trouva malade,
et, au bout d'un instant,
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