dix capotes ou pelisses garnies de fourrures, et des
bonnets, entre autres celui du rabbin. Comme ils s'etaient affubles de
tout cela, je les avais pris, en entrant, pour ce qu'ils n'etaient
pas. Avec eux se trouvaient plusieurs musiciens du regiment qui, un
peu en train, s'etaient mis a jouer des orgues; ainsi s'expliquaient
les sons harmonieux qui m'avaient si fort intrigue.
Ils me donnerent du riz, quelques petits morceaux de biscuit et le
bonnet du rabbin, garni d'une superbe fourrure de renard noir. Je mis
le riz precieusement dans mon sac. Tant qu'au bonnet, je le mis sur la
tete et, voulant me reposer, je mis, devant le feu, une planche sur
laquelle je me couchai. A peine avais-je la tete sur mon sac, que nous
entendimes, du cote de la porte, crier et jurer; nous fumes voir ce
qu'il pouvait y avoir. C'etaient six hommes conduisant une voiture
attelee d'un mauvais cheval, chargee de plusieurs cadavres qu'ils
venaient deposer derriere l'eglise pour faire nombre avec ceux sur
lesquels j'avais marche, la terre etant trop dure pour y faire des
trous, et la gelee les conservant provisoirement. Ils nous dirent que,
si cela continuait, l'on ne saurait plus ou les placer, car toutes les
eglises servaient d'hopitaux et etaient remplies de malades a qui il
etait impossible de donner des soins; qu'il n'y avait plus que celle
ou nous etions ou il n'y avait personne et ou, depuis quelques jours,
ils deposaient les morts; que, depuis le moment ou la tete de colonne
de la Grande Armee avait commence a paraitre, ils ne pouvaient suffire
aux transports des hommes qui mouraient un instant apres leur
arrivee. Apres ces explications je fus me recoucher; les infirmiers,
car c'en etait, demanderent a passer le reste de la nuit avec nous,
afin d'attendre le jour pour deposer leur charge aupres des autres;
ils detelerent leur cheval et le firent entrer dans l'eglise.
Je dormis assez bien le reste de la nuit, quoique reveille souvent par
le picotement de la vermine. Depuis que j'etais infecte, je ne l'avais
pas encore sentie comme dans ce moment; cela se concoit, car, couchant
au grand air, ils ne bougeaient pas; mais la ou j'etais, il faisait
assez chaud; ils en profitaient pour me manger.
Il n'etait pas encore jour, lorsque je fus reveille par les cris d'un
malheureux musicien qui venait de se casser la jambe en descendant les
escaliers qui conduisaient aux orgues, ou il avait dormi. Ceux qui
etaient en bas avaient, pendant la nuit
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