qui n'est pareille a aucune autre, et ou il
semble que tout dans les habitudes, dans les gouts et dans les passions,
doive essentiellement differer de ce qu'on voit ailleurs. Quelle fut ma
surprise, lorsque mon oreille fut blasee sur le premier etonnement des
formes du langage, d'entendre des histoires, des reflexions et des
appreciations identiquement semblables a ce que j'avais entendu dans une
ville de nos provinces francaises. Je me crus a La Chatre! Les dames
du lieu, ces belles et molles patriciennes qui fleurissent comme des
camelias en serre dans l'air tiede des lagunes, elles avaient, en
passant par la langue si _bien pendue_ de la Loredana, les memes
vanites, les memes graces, les memes forces, les memes faiblesses que
les fieres et paresseuses bourgeoises de nos petites villes. Chez les
hommes, c'etait meme bonhomie, meme parcimonie, meme finesse, meme
libertinage. Le monde des ouvriers, des artisans, de leurs filles et
de leurs femmes, c'etait encore comme chez nous, et je m'ecriai du mot
proverbial: _Tutto il mondo e fatto come la nostra famiglia_.
Reportee a mon pays, a ma province, a la petite ville ou j'avais vecu,
je me sentis en disposition d'en peindre les types et les moeurs, et
on sait que quand une fantaisie vient a l'artiste, il faut qu'il la
contente. Nulle autre ne peut l'en distraire. C'est donc au sein de la
belle Venise, au bruit des eaux tranquilles que souleve la rame, au
son des guitares errantes, et en face des palais feeriques qui partout
projettent leur ombre sur les canaux les plus etroits et les moins
frequentes, que je me rappelai les rues sales et noires, les maisons
dejetees, les pauvres toits moussus, et les aigres concerts de coqs,
d'enfants et de chats de ma petite ville. Je revai la aussi de nos
belles prairies, de nos foins parfumes, de nos petites eaux courantes et
de la botanique aimee autrefois, que je ne pouvais plus observer que sur
les mousses limoneuses et les algues flottantes accrochees au flanc des
gondoles. Je ne sais dans quels vagues souvenirs de types divers je fis
mouvoir la moins compliquee et la plus paresseuse des fictions. Ces
types etaient tout aussi venitiens que berrichons. Changez l'habit, la
langue, le ciel, le paysage, l'architecture, la physionomie exterieure
de toutes gens et de toutes choses; au fond de tout cela, l'homme est
toujours a peu pres le meme, et la femme encore plus que l'homme, a
cause de la tenacite de ses instincts.
GEORGE SAND.
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