s de notre vie, que l'habitude ou nos penchants
naturels nous ont rendus chers.
Lorsque les dames demandaient au noble Lord dans laquelle des
charmantes contrees dont il leur montrait les dessins il se fixerait
de preference, s'il avait la liberte du choix, il eludait une reponse
directe et se bornait a raconter les aventures agreables qui lui
etaient arrivees dans les unes ou les autres de ces contrees, et il en
vantait le charme, avec une prononciation en francais pittoresque, qui
donnait a son langage quelque chose de piquant. Un jour Charlotte lui
ayant demande positivement quel etait son domicile actuel, il repondit
avec une franchise a laquelle elle etait loin de s'attendre.
--J'ai contracte l'habitude de me croire partout dans mes propres
foyers, au point que je ne trouve rien de plus commode que de voir les
autres batir, planter et tenir menage pour moi. Je n'ai nulle envie de
revoir mes proprietes, d'abord pour certaines raisons politiques,
et puis parce que mon fils, pour lequel je les avais embellies dans
l'espoir de l'en voir jouir avec moi, ne s'y interesse nullement. Il
s'est embarque pour les Indes, afin d'y utiliser ou gaspiller sa vie
comme l'ont fait et le feront tant d'autres avant et apres lui.
J'ai remarque, en general, que nous nous occupons beaucoup trop de
l'avenir. Au lieu de nous installer commodement dans une position
mediocre, nous cherchons toujours a nous etendre, ce qui ne sert qu'a
nous mettre plus mal a l'aise nous-memes, sans aucun avantage pour les
autres. Qui est-ce qui profite maintenant des batiments que j'ai fait
elever, des parcs et des jardins que j'ai fait planter? Certes ce
n'est pas moi, ce n'est pas meme mon fils, mais des etrangers, des
voyageurs que la curiosite attire, et que le besoin de voir toujours
quelque chose de nouveau pousse sans cesse en avant. Au reste, malgre
tous nos efforts pour nous trouver bien chez nous, nous ne le sommes
jamais qu'a demi, surtout a la campagne ou il nous manque, a chaque
instant, quelque chose que la ville seule peut nous fournir. Le livre
que nous desirons le plus ne se trouve jamais dans notre bibliotheque,
et les objets de premiere necessite, du moins selon nous, sont
precisement ceux qu'on a oublie de mettre a notre portee. Oui,
nous passons notre vie a arranger telle ou telle demeure dont nous
demenageons avant d'avoir pu terminer nos apprets. C'est rarement
notre faute, et presque toujours celle des circonstances, des
passions,
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