profondement graves dans son coeur, tout, jusqu'au silence solennel
de la nature, donnait a sa position quelque chose d'ideal et de
fantastique. Il lui semblait que son ami la conduisait loin, bien loin
de la, pour la laisser seule sur quelque plage aride et inconnue.
Une emotion profonde et douloureuse l'agitait, et cependant elle ne
pouvait pas pleurer.
De son cote, le Capitaine, trop emu pour s'exposer au danger du
silence dans un pareil moment, fit l'eloge du bateau, qui etait assez
leger pour etre facilement gouverne par une seule personne.
--Il faudra apprendre a ramer, ajouta-t-il. Rien n'est plus agreable
que d'errer parfois seul sur l'eau, et de se servir a soi-meme de
rameur, de timonier et de pilote.
Charlotte vit dans ces paroles une allusion a leur prochaine
separation.
--A-t-il tout devine? se dit-elle, ou serait-il prophete sans le
savoir?
Un sentiment douloureux mele d'impatience s'empara d'elle et lui fit
desirer d'arriver au chateau le plus tot possible. A peine avait-elle
exprime ce desir, que le Capitaine, accoutume a lui obeir aveuglement,
chercha du regard un point ou il pourrait aborder. C'etait pour la
premiere fois qu'il traversait l'etang dans un bateau, et s'il en
avait sonde et calcule la profondeur en general, plus d'une place lui
etait entierement inconnue; aussi suivait-il prudemment la route sur
laquelle il etait sur de ne pas se tromper.
Bientot Charlotte le pria de nouveau d'abreger la promenade; alors il
rama plus directement vers le point qu'elle-meme lui designa. Au bout
de quelques instants le bateau s'arreta, il venait de toucher le fond,
et, malgre ses efforts vigoureux et reiteres, il lui fut impossible de
le remettre a flot. Que faire? un seul parti lui restait, il n'hesita
pas a le prendre. Sautant dans l'eau, assez basse pour qu'il put y
marcher surement, il prit Charlotte dans ses bras pour la porter vers
le rivage.
Aussi robuste qu'adroit, il ne fit pas un mouvement qui put lui donner
de l'inquietude, et cependant elle enlacait son cou et il la pressait
tendrement contre sa poitrine. Arrive sur le rivage, il la deposa sur
un tertre couvert de gazon. Son agitation tenait du delire; ses bras
qui enlacaient le corps de son amie, toujours suspendue a son cou, ne
pouvaient se detacher. Eperdu, hors de lui, il l'attira sur son coeur,
et imprima sur ses levres un baiser brulant; mais presque au meme
instant il se jeta a ses pieds.
--Me pardonnerez-vous! oh! me
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