esire. Elle m'ecrit des lettres pleines d'amour
et m'avoue qu'elle cherche le moyen d'arriver jusqu'a moi! Eh!
n'est-ce pas ainsi, en effet, qu'elle devrait se conduire? J'ai promis
de m'abstenir de toute demarche qui pourrait nous rapprocher; mais
elle, rien ne la retient! Ou bien Charlotte aurait-elle eu la cruaute
de lui arracher le serment de ne point m'ecrire, de ne point chercher
a me revoir? c'est probable, c'est naturel; et cependant, si cela
etait, je ne pourrais m'empecher de dire que cela est inoui, horrible!
Ottilie m'aime, je le sais, qu'elle vienne donc se jeter dans mes
bras! Cette pensee me domine au point qu'au plus leger bruit mes
regards se fixent vers la porte, comme si je devais la voir entrer. Je
m'y attends, je l'espere, je le crois; il me semble que tout ce qui
est impossible doit devenir facile. Si la vie vulgaire a pour nous des
obstacles insurmontables, rien au moins ne doit etre impossible dans
la vie intellectuelle. Qu'Ottilie trouve dans son amour la force de
faire pour moi, intellectuellement, ce que des causes materielles
l'empechent de faire materiellement. Que, pendant la nuit, quand la
veilleuse repand dans ma chambre une lueur incertaine, son ame vienne
parler a la mienne, qu'elle m'apparaisse en fantome vaporeux, et me
prouve ainsi qu'elle pense a moi, qu'elle m'appartient.
Une seule consolation me reste. Depuis que j'ai fait connaissance avec
quelques femmes aimables qui demeurent dans le voisinage, Ottilie
occupe plus exclusivement mes reves, comme si elle voulait me dire:
"Tu as beau chercher, tu ne trouveras jamais une amie aussi gracieuse,
aussi aimante que moi." Les plus legers incidents de nos doux rapports
se reproduisent pele-mele dans ces ephemeres creations de mon cerveau,
mais elles ne sont pas toujours sans amertume. Parfois, nous signons
ensemble notre contrat de mariage, nos mains se confondent et effacent
alternativement nos noms enlaces. Souvent meme il y a quelque chose de
contraire a la purete angelique que j'adore en elle, et alors je sens
plus que jamais combien elle m'est chere, car mon chagrin touche de
pres au desespoir. Dans un de mes derniers reves encore elle m'agacait
et me tourmentait d'une maniere tout a fait opposee a son caractere.
Il est vrai que son beau visage rond et candide s'etait allonge, ses
traits avaient change d'expression, enfin ce n'etait pas elle, c'etait
une autre femme. Je n'en ai pas moins ete trouble, bouleverse,
aneanti!
Sourie
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