ette mort de l'Hamlet de mes reves. Un soir
j'ouvris la porte a l'usurpateur du poeme. L'acteur etait illustre. Il
entra. Un seul de ses regards me montra qu'il n'etait pas Hamlet.
Il ne le fut pas un seul instant pour moi. Je le vis s'agiter durant
trois heures dans le mensonge. Je voyais clairement qu'il avait ses
propres destinees; et celles qu'il voulait representer m'etaient
indiciblement indifferentes a cote des siennes. Je voyais sa sante
et ses habitudes, ses passions et ses tristesses, ses pensees et
ses oeuvres, et il essayait vainement de m'interesser a une vie qui
n'etait pas la sienne et que sa seule presence avait rendue factice.
Depuis je le revois lorsque j'ouvre le livre et Elsinore n'est plus le
palais d'autrefois....
"La verite," dit quelque part Charles Lamb, "la verite est que les
caracteres de Shakespeare sont tellement des objets de meditation
plutot que d'interet ou de curiosite relativement a leurs actes,
que, tandis que nous lisons l'un de ses grands caracteres
criminels,--Macbeth, Richard, Iago meme,--nous ne songeons pas
tant aux crimes qu'ils commettent, qu'a l'ambition, a l'esprit
d'aspiration, a l'activite intellectuelle qui les poussent a franchir
ces barrieres morales. Les actions nous affectent si peu, que, tandis
que les impulsions, l'esprit interieur en toute sa perverse grandeur,
paraissent seuls reels et appellent seuls l'attention, le crime n'est
comparativement rien. Mais lorsque nous voyons representer ces choses,
les actes sont comparativement tout, et les mobiles ne sont plus rien.
L'emotion sublime ou nous sommes entraines par ces images de nuit
et d'horreur qu'exprime Macbeth; ce solennel prelude ou il s'oublie
jusqu'a ce que l'horloge sonne l'heure qui doit l'appeler au meurtre
de Duncan; lorsque nous ne lisons plus cela dans un livre, lorsque
nous avons abandonne ce poste avantageux de l'abstraction d'ou la
lecture domine la vision, et lorsque nous voyons sous nos yeux, un
homme en sa forme corporelle se preparer actuellement au meurtre; si
le jeu de l'acteur est vrai et puissant, la penible anxiete au sujet
de l'acte, le naturel desir de le prevenir tout qu'il ne semble
pas accompli, la trop puissante apparence de realite, provoquent un
malaise et une inquietude qui detruisent totalement le plaisir que les
mots apportent dans le livre, ou l'acte ne nous oppresse jamais de
la penible sensation de sa presence, et semble plutot appartenir a
l'histoire; a quelque chose de pa
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