sse et d'inevitable."
Charles Lamb a raison, et pour mille raisons bien plus profondes
encore que celles qu'il nous donne. Le theatre est le lien ou meurent
la plupart des chefs-d'oeuvre, parce que la representation d'un
chef-d'oeuvre a l'aide d'elements accidentels et humains est
antinomique. Tout chef-d'oeuvre est un symbole, et le symbole ne
supporte pas la presence active de l'homme. Il suffit que le coq
chante, dit Hamlet, pour que les spectres de la nuit s'evanouissent.
Et de meme, le poeme perd sa vie "de la seconde sphere" lorsqu'un etre
de la sphere inferieure s'y introduit. L'accident ramene le symbole
a l'accident; et le chef-d'oeuvre, en son essence, est mort durant le
temps de cette presence et de ses traces.
Les Grecs n'ignorerent pas cette antinomie, et leurs masques que nous
ne comprenons plus ne servaient probablement qu'a attenuer la presence
de l'homme et a soulager le symbole. Aux epoques ou le theatre eut une
vie veritable, il la dut peut-etre uniquement a quelque circonstance
ou a quelque artifice qui venait en aide du poeme dans sa lutte contre
l'homme. Ainsi, sous Elisabeth, par exemple, la declamation etait une
sorte de melopee, le jeu etait conventionnel, et la scene aussi. Il en
etait a peu pres de meme sous Louis XIV. Le poeme se retire a mesure
que l'homme s'avance. Le poeme veut nous arracher du pouvoir de nos
sens et faire predominer le passe et l'avenir; l'homme, au contraire,
n'agit que sur nos sens et n'existe que pour autant qu'il puisse
effacer cette predomination. S'il entre en scene avec toutes ses
puissances, et libre comme s'il entrait dans une foret; si sa voix,
ses gestes, et son attitude ne sont pas voilees par un grand nombre
de conventions synthetiques; si l'on apercoit un seul instant l'etre
vivant qu'il est et l'ame qu'il possede,--il n'y a pas de poeme au
monde qui ne recule devant lui. A ce moment precis, le spectacle du
poeme s'interrompt et nous assistons a une scene de la vie exterieure,
qui, de meme qu'une scene de la rue, de la riviere, ou du champ de
bataille, a ses beautes eternelles et secretes, mais qui est neanmoins
impuissante a nous arracher du present, parce qu'en cet instant nous
n'avons pas la qualite pour apercevoir ces beautes invisibles, qui ne
sont que "des fleurs offertes aux vers aveugles."
Et c'est pour ces raisons, et pour d'autres encore qu'on pourrait
rechercher dans les memes parages, que j'avais destine mes petits
drames a des etres indulg
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