non pas sans m'en dire la raison, et
j'irai vous la demander quand vous serez de sang-froid et moi aussi.
--Tu me fais des menaces, malheureux? s'ecria Bricolin alarme; et,
prenant l'assemblee a temoin: "Il me fait des menaces!" ajouta-t-il d'un
ton emphatique, et comme pour invoquer l'assistance de ses clients et de
ses serviteurs contre un homme dangereux.
--Dieu m'en garde! monsieur Bricolin, dit Grand-Louis en haussant les
epaules; vous ne m'entendez pas...
--Et je ne veux pas t'entendre. Je n'ai rien a ecouter d'un ingrat et
d'un faux ami. Oui, ajouta-t-il, voyant que ce reproche causait plus de
chagrin que de colere au meunier, je te dis que tu es un faux ami, un
Judas!
--Un Judas? non, car je ne suis pas un juif, monsieur Bricolin.
--Je n'en sais rien! reprit le fermier, qui s'enhardissait lorsque son
adversaire semblait faiblir.
--Ah! doucement, s'il vous plait, repliqua Grand-Louis d'un ton qui lui
ferma la bouche. Pas de gros mots; je respecte votre age, je respecte
votre mere, et votre fille aussi, plus que vous-meme peut-etre; mais je
ne reponds pas de moi si vous vous emportez trop en paroles. Je pourrais
repondre et faire voir que si j'ai un petit tort, vous en avez un grand.
Taisons-nous, croyez-moi, monsieur Bricolin, ca pourrait nous mener plus
loin que nous ne voulons. J'irai vous parler, et vous m'entendrez.
--Tu n'y viendras pas! Si tu y viens, je te mettrai dehors honteusement,
s'ecria M. Bricolin lorsqu'il vit le meunier, qui s'eloignait a grands
pas, hors de portee de l'entendre. Tu n'es qu'un malheureux, un
trompeur, un intrigant!
Rose qui, pale et glacee de terreur, etait restee jusque-la immobile au
bras de son pere, fut prise d'un mouvement d'energie dont elle-meme ne
se serait pas crue capable un instant auparavant.
--Mon papa, dit-elle en le tirant avec force de la foule, vous etes en
colere, et vous dites ce que vous ne pensez pas. C'est en famille qu'il
faut s'expliquer, et non pas devant tout le monde. Ce que vous faites
la est tres-desobligeant pour moi, et vous n'etes guere soigneux de me
faire respecter.
--Toi, toi? dit le fermier etonne et comme vaincu par le courage de sa
fille. Il n'y a rien contre toi dans tout cela, rien qui doive faire
parler sur ton compte. Je t'avais permis de danser avec ce malheureux,
je trouvais cela honnete et naturel, comme tout le monde doit le
trouver. Je ne savais pas que cet homme-la etait un scelerat, un
traitre, un...
--Tout
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