savais
bien qu'il viendrait roder autour de moi, tout pres, si pres que je
pourrais peut-etre le toucher, le saisir? Et alors!... alors, j'aurais la
force des desesperes; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon
front, mes dents pour l'etrangler, l'ecraser, le mordre, le dechirer.
Et je le guettais avec tous mes organes surexcites.
J'avais allume mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminee, comme si
j'eusse pu, dans cette clarte, le decouvrir.
En face de moi, mon lit, un vieux lit de chene a colonnes; a droite, ma
cheminee; a gauche, ma porte fermee avec soin, apres l'avoir laissee
longtemps ouverte, afin de l'attirer; derriere moi, une tres haute armoire
a glace, qui me servait chaque jour, pour me raser, pour m'habiller, et ou
j'avais coutume de me regarder, de la tete aux pieds, chaque fois que je
passais devant.
Donc, je faisais semblant d'ecrire, pour le tromper, car il m'epiait lui
aussi; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon
epaule, qu'il etait la, frolant mon oreille.
Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis
tomber. Eh! bien?... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas
dans ma glace!... Elle etait vide, claire, profonde, pleine de lumiere! Mon
image n'etait pas dedans... et j'etais en face, moi! Je voyais le grand
verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affoles;
et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant
bien pourtant qu'il etait la, mais qu'il m'echapperait encore, lui dont le
corps imperceptible avait devore mon reflet.
Comme j'eus peur! Puis voila que tout a coup je commencai a m'apercevoir
dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme a travers une nappe
d'eau; et il me semblait que cette eau glissait de gauche a droite,
lentement, rendant plus precise mon image, de seconde en seconde. C'etait
comme la fin d'une eclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posseder
de contours nettement arretes, mais une sorte de transparence opaque,
s'eclaircissant peu a peu.
Je pus enfin me distinguer completement, ainsi que je le fais chaque jour
en me regardant.
Je l'avais vu! L'epouvante m'en est restee, qui me fait encore frissonner.
_20 aout_.--Le tuer, comment? puisque je ne peux l'atteindre? Le poison?
mais il me verrait le meler a l'eau; et nos poisons, d'ailleurs,
auraient-ils un effet sur son corps imperceptible? Non... non... sans aucun
doute..
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