ans cette conjoncture, c'est a vous a me
tirer tout doucement d'affaire en temoignant adroitement a ce jeune homme
que vous n'etes pas dans le gout de l'epouser.
LISETTE.
Je ne saurois, Madame.
SILVIA.
Vous ne sauriez? Et qu'est-ce qui vous en empeche?
LISETTE.
Monsieur Orgon me l'a defendu.
SILVIA.
Il vous l'a defendu! Mais je ne reconnois point mon pere a ce procede-la!
LISETTE.
Positivement defendu.
SILVIA.
Eh bien! je vous charge de lui dire mes degouts et de l'assurer qu'ils
sont invincibles. Je ne saurois me persuader qu'apres cela il veuille
pousser les choses plus loin.
LISETTE.
Mais, Madame, le futur, qu'a-t-il donc de si desagreable, de si rebutant?
SILVIA.
Il me deplait, vous dis-je, et votre peu de zele aussi.
LISETTE.
Donnez-vous le temps de voir ce qu'il est: voila tout ce qu'on vous
demande.
SILVIA.
Je le hais assez sans prendre du temps pour le hair davantage.
LISETTE.
Son valet, qui fait l'important, ne vous auroit-il point gate l'esprit sur
son compte?[140]
SILVIA.
Hum! la sotte! son valet a bien affaire ici!
LISETTE.
C'est que je me mefie de lui, car il est raisonneur.
SILVIA.
Finissez vos portraits, on n'en a que faire.[141] J'ai soin que ce valet
me parle peu, et, dans le peu qu'il m'a dit, il ne m'a jamais rien dit que
de tres sage.
LISETTE.
Je crois qu'il est homme a vous avoir conte des histoires maladroites pour
faire briller son bel esprit.
SILVIA.
Mon deguisement ne m'expose-t-il pas a m'entendre dire de jolies choses! A
qui en avez-vous? D'ou vous vient la manie d'imputer a ce garcon une
repugnance a laquelle il n'a point de part? Car enfin vous m'obligez a le
justifier: il n'est pas question de le brouiller avec son maitre, ni d'en
faire un fourbe pour me faire une imbecile, moi qui ecoute ses histoires.
LISETTE.
Oh! Madame, des que vous le defendez sur ce ton-la, et que cela va jusqu'a
vous facher, je n'ai plus rien a dire.
SILVIA.
Des que je le defends sur ce ton-la! Qu'est-ce que c'est que le ton dont
vous dites cela vous-meme? Qu'entendez-vous par ce discours? Que se
passe-t-il dans votre esprit?
LISETTE.
Je dis, Madame, que je ne vous ai jamais vue comme vous etes, et que je ne
concois rien a votre aigreur. Eh bien! si ce valet n'a rien dit, a la
bonne heure; il ne faut pas vous emporter pour le justifier; je vous
crois, voila qui est fini; je ne m'oppose pas a la bonne opinion que vous
en
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