tableaux parisiens par une gravure poncive,
faite pour tirer des larmes aux personnes sensibles.
Sans doute, l'oeuvre cette fois aidait, poussait l'artiste. Mais
Desclee, on peut le dire, y mit encore de son temperament et elargit
ainsi l'horizon de la piece. C'est que, justement, elle semblait
faite pour le personnage, elle le jouait avec toute sa nature. Aussi
s'incarna-t-elle dans ce role, ou elle fut superbe de vie et de verite.
La mort de Desclee a ete pleuree par beaucoup de debutants dramatiques.
Nous la regardions tous grandir, avec la joie de constater, a chaque
nouvelle creation, que nous trouverions en elle l'interprete que nous
revions pour nos oeuvres futures. Nous songions tous a des pieces ou
nous etudierions notre societe, ou nous tacherions de mettre la realite
a la scene. Et nous lui taillions deja des roles, parce qu'elle
seule nous paraissait moderne, vivant de notre air et exprimant avec
exactitude les troubles nerveux de l'epoque presente. Elle ne semblait
avoir passe par aucune ecole, elle arrivait avec sa personnalite, sans
aucune recette d'attitudes ni de diction. Notre age vibrait en elle avec
une intensite merveilleuse. Je la sentais nee pour aider puissamment au
theatre le mouvement naturaliste. Et elle est morte. C'est une perte
immense pour nous tous.
On peut dire qu'elle n'a pas ete remplacee. Le public ne se doute pas de
la difficulte qu'eprouve aujourd'hui un auteur dramatique pour trouver
une interprete selon ses voeux, dans une piece moderne, qui demande la
sensation et l'intelligence du temps ou nous vivons. Je mets a part la
Comedie-Francaise. Les directeurs disent: "Il n'y a plus d'artiste."
Ce qui est plus vrai et plus triste, c'est qu'il y a bien encore des
artistes, mais que ces artistes n'ont pas la flamme du mouvement
litteraire actuel. Ils ne sont pas faits pour les oeuvres qui viennent.
Notre mouvement naturaliste, en un mot, ne voit pas encore poindre ses
Frederick-Lemaitre et ses Dorval.
Justement, Desclee s'annoncait comme la Dorval de ce mouvement. C'est
pourquoi nous la regrettons avec tant d'amertume. Il est une loi: c'est
que toute periode litteraire, au theatre, doit amener avec elle ses
interpretes, sous peine de ne pas etre. La tragedie a eu ses illustres
comediens pendant deux siecles; le romantisme a fait naitre toute une
generation d'artistes de grand talent. Aujourd'hui, le naturalisme ne
peut compter sur aucun acteur de genie. C'est sans doute parce que
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