Ne
craignez-vous pas, cher monsieur de Nance, en la laissant vous appeler
son pere, qu'elle ne vous vieillisse terriblement?
--Je ne crains rien dans ce genre, repondit M. de Nance en souriant.
Francois a quatorze ans, et je ne cherche pas a me rajeunir.
MADAME DES ORMES
--Vous avez l'air si jeune. Quel age avez-vous?
M. DE NANCE
--J'ai quarante ans, madame.
MADAME DES ORMES
--Quarante ans! Dieu! quelle horreur! j'espere bien n'avoir jamais
quarante ans!... Il est vrai que j'en suis loin! J'ai a peine
vingt-trois ans.
M. de Nance ne put reprimer entierement un sourire moqueur.
MADAME DES ORMES
--Vous ne le croyez pas? C'est a cause de cette ridicule taille de
Christine, a laquelle on donnerait dix ans, en verite? Et c'est a peine
si elle en a huit. Je me suis mariee a quinze ans.
M. de Nance ne pouvait repliquer sans dire une impertinence: il se tut.
--Maman, dit Christine qui revenait tout essoufflee, je ne trouve pas M.
Paolo; il est sans doute parti, ne vous sachant pas ici.
MADAME DES ORMES
--Que c'est ennuyeux! Comment ne lui a-t-on pas dit que j'etais la. Ce
bon Paolo! Il est si heureux quand il me voit! Envoyez-le-moi demain,
mon cher monsieur de Nance. Adieu, a bientot.
Elle monta dans son poney-duc et partit en envoyant des baisers avec ses
doigts epates qu'elle croyait effiles.
--C'est ennuyeux que Paolo soit parti, dit Christine; je n'avais pas
fini ma lecon de piano, et je n'ai pas encore eu ma lecon d'histoire.
M. DE NANCE
--Il reviendra peut-etre, mon enfant; et, s'il rentre trop tard, tu
viendras chez moi, je te donnerai ta lecon d'histoire.
CHRISTINE
--Oh! merci, mon pere! J'aime tant quand c'est vous qui me donnez mes
lecons... Mais, dites-moi, mon pere, est-ce vrai que vous ne me soignez
que pour maman, et que vous ne m'aimez qu'en souvenir d'elle?
M. DE NANCE
--Ma pauvre petite, je te soigne pour toi, je ne t'aime que pour toi.
Ce que j'en ai dit a ta maman, c'etait pour adoucir sa mauvaise humeur,
pour detourner son intention du reproche qu'elle t'adressait, et de
crainte que ta grande tendresse pour nous ne lui donnat la pensee de te
faire revenir chez elle. Tu juges quel chagrin c'eut ete pour moi, pour
Francois et pour toi-meme.
CHRISTINE
--Je crois que j'en serais morte! Vous quitter, rentrer la-bas apres
avoir ete heureuse et aimee ici, vous savoir dans le chagrin, vous et
Francois! Mon Dieu! mon Dieu! oui, j'en serais morte!
--Pst! ps
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