; et ma belle-mere, qui m'avait prise
en amitie pour la nullite de mon caractere, m'exhorta a me remarier. Il
est vrai que j'etais grosse, et que le faible douaire qu'on me laissait
devait retourner a la famille de mon mari au cas ou je donnerais un
beau-pere a son heritier. Des que mon deuil fut passe, on me produisit
donc dans le monde, et l'on m'y entoura de galants. J'etais alors dans
tout l'eclat de la beaute, et, de l'aveu de toutes les femmes, il
n'etait point de figure ni de taille qui pussent m'etre comparees.
Mais mon mari, ce libertin vieux et blase qui n'avait jamais eu pour moi
qu'un dedain ironique, et qui m'avait epousee pour obtenir une place
promise a ma consideration, m'avait laisse tant d'aversion pour le
mariage que jamais je ne voulus consentir a contracter de nouveaux
liens. Dans mon ignorance de la vie, je m'imaginais que tous les hommes
etaient les memes, que tous avaient cette secheresse de coeur, cette
impitoyable ironie, ces caresses froides et insultantes qui m'avaient
tant humiliee. Toute bornee que j'etais, j'avais fort bien compris que
les rares transports de mon mari ne s'adressaient qu'a une belle femme,
et qu'il n'y mettait rien de son ame. Je redevenais ensuite pour lui une
sotte dont il rougissait en public, et qu'il eut voulu pouvoir renier.
Cette funeste entree dans la vie me desenchanta pour jamais. Mon coeur,
qui n'etait peut-etre pas destine a cette froideur, se resserra et
s'entoura de mefiances. Je pris les hommes en aversion et en degout.
Leurs hommages m'insulterent; je ne vis en eux que des fourbes qui se
faisaient esclaves pour devenir tyrans. Je leur vouai un ressentiment et
une haine eternels.
Quand on n'a pas besoin de vertu, on n'en a pas; voila pourquoi, avec
les moeurs les plus austeres, je ne fus point vertueuse. Oh! combien je
regrettai de ne pouvoir l'etre! combien je l'enviai, cette force morale
et religieuse qui combat les passions et colore la vie! la mienne fut si
froide et si nulle! que n'eusse-je point donne pour avoir des passions a
reprimer, une lutte a soutenir, pour pouvoir me jeter a genoux et
prier comme ces jeunes femmes que je voyais, au sortir du couvent, se
maintenir sages dans le monde durant quelques annees a force de ferveur
et de resistance! Moi, malheureuse, qu'avais-je a faire sur la terre?
Rien qu'a me parer, a me montrer et a m'ennuyer. Je n'avais point de
coeur, point de remords, point de terreurs; mon ange gardien dormait au
lieu de v
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