t qu'il me fallait
accepter pour etre au niveau de la compagnie ou j'etais jetee. Je me
determinai en faveur de ce provincial, dont le nom et l'etat dans le
monde me couvraient d'une assez belle protection. C'etait le vicomte de
Larrieux.
Il m'aimait lui, et dans la sincerite de son ame! Mais son ame! en
avait-il une? C'etait un de ces hommes froids et positifs qui n'ont pas
meme pour eux l'elegance du vice et l'esprit du mensonge. Il m'aimait
a son ordinaire, comme mon mari m'avait quelquefois aimee. Il n'etait
frappe que de ma beaute, et ne se mettait pas en peine de decouvrir mon
coeur. Chez lui ce n'etait pas dedain, c'etait ineptie. S'il eut trouve
en moi la puissance d'aimer, il n'eut pas su comment y repondre.
Je ne crois pas qu'il ait existe un homme plus materiel que ce pauvre
Larrieux. Il mangeait avec volupte, il s'endormait sur tous les
fauteuils, et le reste du temps il prenait du tabac. Il etait ainsi
toujours occupe a satisfaire quelque appetit physique. Je ne pense pas
qu'il eut une idee par jour.
Avant de l'elever jusqu'a mon intimite, j'avais de l'amitie pour lui,
parce que si je ne trouvais en lui rien de grand, du moins je n'y
trouvais rien de mechant; et en cela seul consistait sa superiorite
sur tout ce qui m'entourait. Je me flattai donc, en ecoutant ses
galanteries, qu'il me reconcilierait avec la nature humaine, et je me
confiai a sa loyaute. Mais a peine lui eus-je donne sur moi ces droits
que les femmes faibles ne reprennent jamais, qu'il me persecuta
d'un genre d'obsession insupportable, et reduisit tout son systeme
d'affection aux seuls temoignages qu'il fut capable d'apprecier.
Vous voyez, mon ami, que j'etais tombee de Charybde en Scylla. Cet
homme, qu'a son large appetit et a ses habitudes du sieste j'avais cru
d'un sang si calme, n'avait meme pas en lui le sentiment de cette forte
amitie que j'esperais rencontrer. Il disait en riant qu'il lui etait
impossible d'avoir de l'amitie pour une belle femme. Et si vous saviez
ce qu'il appelait l'amour!
Je n'ai point la pretention d'avoir ete petrie d'un autre limon que
toutes les autres creatures humaines. A present que je ne suis plus
d'aucun sexe, je pense que j'etais alors tout aussi femme qu'une autre,
mais qu'il a manque au developpement de mes facultes de rencontrer un
homme que je pusse aimer assez pour jeter un peu de poesie sur les faits
de la vie animale. Mais cela n'etant point, vous-meme, qui etes
un homme, et par conseque
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