la gouttiere precisement sous mon
nez, et les airs qu'il se donnait auraient ete risibles, s'ils n'avaient
pas ete revoltants.
On n'avait jamais rien vu d'aussi miroitant ni d'aussi clignotant. Cette
attitude de la part de mon oeil dans la gouttiere n'etait pas seulement
irritante par son insolence manifeste et sa honteuse ingratitude, mais
elle etait encore excessivement inconvenante au point de vue de la
sympathie qui doit toujours exister entre les deux yeux de la meme tete,
quelque separes qu'ils soient. Je me vis forcee bon gre, mal gre, de
froncer les sourcils et de clignoter en parfait concert avec cet oeil
scelerat qui gisait juste sous mon nez. Je fus bientot soulagee par la
fuite de mon autre oeil. Il prit en tombant la meme direction (c'etait
peut-etre un plan concerte) que son camarade. Tous deux roulerent
ensemble de la gouttiere, et, en verite je fus enchantee d'etre
debarrassee d'eux.
La barre etait entree maintenant de quatre pouces et demi dans mon
cou, et il n'y avait plus qu'un petit lambeau de peau a couper. Mes
sensations furent alors celles d'un bonheur complet, car je sentis
que dans cinq minutes au plus je serais delivree de ma desagreable
situation. Je ne fus pas tout a fait decue dans cette attente. Juste a
cinq heures, vingt-cinq minutes de l'apres-midi, l'enorme aiguille avait
accompli la partie de sa terrible revolution suffisante pour couper le
peu qui restait de mon cou. Je ne fus pas fachee de voir la tete qui
m'avait occasionne un si grand embarras se separer enfin de mon corps.
Elle roula d'abord le long de la paroi du clocher, puis alla se loger
pendant quelques secondes dans la gouttiere, et enfin fit un plongeon
dans le milieu de la rue.
J'avouerai candidement que les sensations que j'eprouvai alors
revetirent le caractere le plus singulier--ou plutot le plus mysterieux,
le plus inquietant, le plus incomprehensible. Mes sens changeaient de
place a chaque instant. Quand j'avais ma tete, tantot je m'imaginais que
cette tete etait moi, la vraie signora Psyche Zenobia--tantot j'etais
convaincue que c'etait le corps qui formait ma propre identite. Pour
eclaircir mes idees sur ce point, je cherchai ma tabatiere dans ma
poche; mais en la prenant, et en essayant d'appliquer selon la
methode ordinaire une pincee de son delicieux contenu, je m'apercus
immediatement qu'il me manquait un objet essentiel, et je jetai aussitot
la boite a ma tete. Elle huma une prise avec une grande satisfact
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