umante... et, quelques minutes apres, tous les
passagers se trouvaient reunis autour des gamelles.
C'etaient de singuliers convives que le sort avait donnes a Victor et a
son ami Jean: un procureur de la republique francaise, qui s'etait enfui
de son pays pour des raisons inconnues; un docteur en medecine; un
banquier allemand, qui avait tout perdu a la roulette a Hombourg; un
jeune gentilhomme de la Flandre occidentale; qui avait depense les
derniers debris de la fortune paternelle, avant son depart pour la
Californie; un officier francais qui se vantait d'avoir tue son
superieur dans un duel.
A la premiere vue, Victor crut qu'il n'avait pas a se plaindre du sort;
et, en effet, comme nos amis avaient pris une place de seconde classe,
ils n'etaient pas meles avec les pauvres gens de la troisieme classe,
qui dormaient et vivaient tous ensemble dans l'entre-pont comme dans une
etable.
Mais que son coeur sensible fut blesse de la conversation grossiere et
ignoble de ses compagnons. Pendant tout le diner, il n'entendit que
jurons et blasphemes, jeux de mots stupides et sorties brutales. Alors
il remarqua que la voix de ses compagnons etait fatiguee et rauque, que
leurs yeux etaient entoures d'un cercle couleur de plomb, et meme que le
nez du docteur etait nuance de tons pourpres, signes d'une ripaille
continuelle. Il acquit la conviction qu'il etait condamne a vivre en
compagnon de table et en ami avec des gens qui avaient noye dans les
boissons et perdu par une conduite dereglee toute delicatesse d'esprit
Et tout sentiment de moralite.
Pendant qu'il tombait ainsi dans des reflexions peu souriantes, ses
compagnons pechaient hardiment dans le plat et devoraient la pesante
nourriture avec un appetit feroce. Le mal de mer avait creuse leurs
estomacs, et ils tachaient de prendre leur revanche autant que possible.
Heureusement Jean Creps, avertit son ami; sans cela Roozeman n'aurait
songe a diner que quand il ne fut plus reste une seule feve dans le
plat. Le docteur tira une bouteille de cognac de la poche de son
pardessus et la vida presque a moitie, pour se rincer la bouche,
disait-il. Les autres allumerent qui un cigare, qui une pipe, et
monterent sur le pont, ou se trouvaient en ce moment la plupart des
passagers. Quelques-uns s'etaient etendus sous les rayons brulants du
soleil; d'autres etaient assis sur des bancs; mais le plus grand nombre
se promenait par groupes.
Roozeman, le dos appuye contre le bastingage e
|