de la chretiente; mais tout cela nous
est inconnu. Nous ne possedons que les actes publics, deux confessions
de foi et une apologie qu'un de ses amis ecrivit avec plus de chaleur
que de prudence. Encore ne sait-on pas bien la date de ces ecrits, et
les auteurs ne sont pas d'accord. Racontons les faits dans l'ordre le
plus simple.
La decision de Rome demeura un temps incertaine. Mais les lettres de
saint Bernard au pape furent repandues dans le public, et l'on ne tarda
pas a les faire suivre du bruit de la condamnation; on l'annoncait avant
de l'avoir obtenue. Abelard, imparfaitement instruit de son sort, dut
redoubler de soins pour l'eviter et l'adoucir. Il comptait sur deux
appuis, l'opinion de la France et la faveur de Rome.
La premiere etait moins unie qu'il ne pensait. L'energie avec laquelle
on l'avait attaque au nom de l'Eglise intimidait ceux qui n'etaient
qu'impartiaux, neutralisait dans le clerge une partie de ses amis, et
donnait a la querelle une gravite qui ne permettait plus de le suivre
ouvertement qu'aux convictions fortes ou passionnees. Toutefois, pendant
qu'il faisait sans doute jouer a Rome tous les ressorts qui le pouvaient
sauver, il ne negligea pas de s'adresser au public, et de se concilier
les deux sortes d'esprits qui l'avaient si souvent servi; d'une part,
les esprits curieux et hardis, qui se plaisent a l'examen et goutent la
controverse, en un mot les esprits faits pour l'opposition; de l'autre,
les esprits eleves et bienveillants, qui s'interessent aisement au
talent et a la sincerite persecutes, et qui placent volontiers le bon
droit du cote de l'intelligence et de la faiblesse. Aux uns il adressa
les reponses de la dialectique, aux autres les gemissements de la foi.
Il s'etudia comme toujours a faire en lui redouter le controversiste et
plaindre le chretien.
Mais il y avait un juge qu'il devait avant tout rassurer et satisfaire,
c'etait Heloise: non qu'il put craindre un moment d'etre desavoue par
l'esprit le plus libre, abandonne par le coeur le plus fidele. Eh! dans
quelles extremites Heloise ne l'aurait-elle pas suivi? mais il avait
besoin de l'armer pour sa cause, et de ranger publiquement de son parti
l'abbesse et ses religieuses; car elle exercait dans l'Eglise et le
monde une grande autorite morale. D'ailleurs, au milieu de ces restes de
passions philosophiques et de calculs ambitieux qui l'agitaient encore,
le coeur d'Abelard renfermait un fond de veritable tristesse; un
sent
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