ar cette multitude de
chevaliers, il fallait que l'armee fut tres-nombreuse; car chaque
chevalier avait d'ordinaire une assez grande suite, et les historiens de
ce temps-la ne marquent guere la grandeur des armees que par le nombre
des chevaliers qui s'y trouvaient, et dont les plus considerables
avaient chacun leur _ost_, c'est-a-dire leur camp, leurs troupes, et
leurs bannieres separes des autres corps.
Le roi, avant de quitter le port de Limesson, assembla les principaux
seigneurs de l'armee, et apres le conseil de guerre, declara a tous les
capitaines des vaisseaux qu'on allait a Damiette, et, qu'en cas que,
dans la route, quelques-uns fussent separes de la flotte, ils eussent
a se rendre de ce cote-la. Le vent contraire les empecha de sortir
jusqu'au mercredi suivant. Ils en partirent ce jour-la; mais ils
n'etaient pas encore fort loin en mer, lorsqu'une furieuse tempete
survint, et dissipa la flotte. Le roi fut oblige de relacher a la
pointe de Limesson, le jour de la Pentecote 1249, avec une partie des
vaisseaux. Le reste fut pousse du cote d'Acre, et en divers autres
endroits; de sorte qu'il ne se trouva avec le roi que sept cents
chevaliers, de deux mille huit cents qui s'etaient embarques avec lui,
sans qu'il sut ce que le reste etait devenu.
Il se remit en mer le jour de la Trinite. Il rencontra Guillaume de
Ville-Hardouin, prince de Moree, avec le duc de Bourgogne qui,
ayant passe l'hiver en Moree, avait joint son escadre a celle de
Ville-Hardouin. Cette rencontre consola un peu le roi; mais ne le tira
pas de l'inquietude ou il etait pour le reste de sa flotte. Il arriva,
en quatre jours, a la vue de Damiette, et jeta l'ancre assez pres du
rivage, ou les Sarrasins l'attendaient bien prepares.
Cette ville passait pour la plus belle, la plus riche, et la plus forte
place de l'Egypte, dont elle etait regardee comme la clef principale.
Elle etait a une demi-lieue de la mer, entre deux bras du Nil, dont le
plus considerable formait un port capable de contenir les plus grands
vaisseaux. C'est la qu'on voyait cette grosse tour que les chretiens
avaient prise, avec tant de fatigues, sous le roi Jean de Brienne. Elle
servait de defense contre l'ennemi, et de barriere pour les vaisseaux
qui arrivaient d'Ethiopie et des Indes. Une grande chaine, qui
aboutissait de cette forteresse a une des tours de la ville, fermait
tellement l'issue, que rien ne pouvait entrer ni sortir sans la
permission du sultan: ce qui lui
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