ion du jeu leur
fit perdre la raison avec leurs biens. Ils se consolerent avec le vin de
la perte de leur argent, de leurs chevaux et meme de leurs armes: leur
fureur alla jusqu'a violer les filles et les femmes, au mepris de toutes
les lois divines et humaines. Les grands seigneurs consumaient tous
leurs fonds en festins, dont la somptuosite etait le moindre exces; les
simples soldats passaient les jours et les nuits a boire et a
jouer. Tout etait plein de lieux de debauche: _Il y en avoit_, dit
Joinville[1], _jusques a l'entour du pavillon royal, qui etoient tenus
par les gens du roi_. On peut dire, avec un celebre moderne[2], _que
toutes sortes de vices y regnoient, ceux que les pelerins avoient
apportes de leur pays, et ceux qu'ils avoient pris dans les pays
etrangers_. Il se commettait mille violences contre les gens du pays,
et surtout envers les marchands; de sorte que la plupart de ceux qui
d'abord apportaient des vivres en abondance cesserent d'y venir, et l'on
vit bientot la cherte causer la disette.
[Note 1: Joinville, pag. 32.]
[Note 2: L'abbe Fleury, _Moeurs des chretiens_, pag. 399.]
Le monarque faisait ce qu'il pouvait pour remedier a tant de desordres,
mais le peu d'obeissance qu'il trouva rendit presque tous ses efforts
inutiles. On doit dire neanmoins a la gloire de ce grand prince, que
tous les etrangers se louaient hautement de sa justice, et publiaient
partout qu'il leur donnait les memes marques de bonte qu'a ses propres
sujets. Quant a ceux qui dependaient plus particulierement de lui, et a
ses domestiques, ils furent chaties tres-severement, chasses et renvoyes
en France.
Cependant on apprit que le bruit qui avait couru de la mort du soudan,
n'etait pas veritable. Ce prince, quoiqu'il fut dangereusement malade,
avait eu soin de cacher aux chretiens l'etat ou il etait. Il envoya
defier le roi, pour decider, dans un seul combat, de la fortune de
l'Egypte: il lui marqua le jour, et lui laissa le choix du lieu. La
reponse du monarque fut "qu'il n'acceptait aucun jour fixe, parce
que c'etait excepter les autres; qu'il defiait Malech-Sala pour le
lendemain, comme pour tous les autres jours; qu'en quelque endroit, et
a quelque heure qu'ils se rencontrassent, il le traiterait en ennemi
jusqu'a ce qu'il put le regarder comme son frere." Ce sage monarque,
instruit que le soudan etait attaque d'un mal incurable, esperait
profiter du trouble et des guerres civiles que sa mort causerait parmi
les Sar
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