t pres de trois mois qu'on etait dans ce poste, et le travail
n'etait guere plus avance qu'aux premiers jours, parce que les ennemis,
avec leurs machines, ruinaient souvent en un jour ce qu'on avait fait en
plusieurs. On commencait a manquer de vivres, et deja l'on deliberait
de reprendre le chemin de Damiette, lorsqu'un Bedouin, ou Arabe,
abandonnant et sa religion et les Sarrasins, vint trouver le connetable
de Beaujeu, et lui offrit, pour cinq cents besans d'or, de lui indiquer
un gue ou toute la cavalerie pouvait passer. La proposition fut acceptee
avec joie; on ne pensa plus qu'au choix des mesures les plus convenables
a la circonstance. Le duc de Bourgogne fut charge de la garde du camp
avec les seigneurs et les troupes de la Palestine; tout le reste eut
ordre de se tenir pret a franchir le fleuve. Le comte d'Artois, prince
avide de gloire, demanda l'honneur de passer le premier a la tete de
l'armee: le roi, qui connaissait son courage bouillant et emporte, lui
representa avec douceur que son extreme vivacite ne lui permettrait
pas d'attendre les autres; qu'infailliblement il s'attirerait quelque
malheur, et que peut-etre meme sa trop grande precipitation exposerait
l'armee a se perdre. "Monsieur, repondit le comte avec feu, je vous jure
sur les saints Evangiles que je n'entreprendrai rien que vous ne soyez
passe." Le monarque se rendit a cette condition, et crut avoir pourvu a
tout, soit en ordonnant que les Templiers feraient l'avant-garde quand
on serait de l'autre cote, soit en prenant le serment de son frere,
qu'il saurait se moderer; serment qu'il ne devait pas tenir, et dont le
violement fut la perte de toute la chretiente d'Orient.
Le jour commencait a peine a paraitre, lorsque le comte d'Artois entra
dans le fleuve a la tete de l'avant-garde, et s'avanca fierement vers
un corps de trois cents chevaux sarrasins qui semblerent vouloir lui
disputer le passage. Tout prit la fuite a son approche, et l'armee
continua de passer sans aucun obstacle. On perdit neanmoins quelques
hommes qui se noyerent, le gue manquant en certains endroits. De ce
nombre fut Jean d'Orgemont, chevalier tres-estime pour son merite et sa
valeur.
Rien n'egala la consternation des infideles a la vue de l'intrepidite
francaise. Le comte d'Artois, temoin de cette frayeur, oublie bientot
les sages remontrances du roi son frere. L'aspect d'un ennemi tremblant
et fuyant de tous cotes, irrite son courage; il aspirait a l'honneur
de cette jo
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