t jusque dans cette chambre
funebre ou la lumiere du jour ne penetrait pas.
A chaque instant les nouvelles arrivaient jusqu'a moi quoi que je
fisse pour me boucher les oreilles. On avait arrete les questeurs de
l'Assemblee. Le palais Bourbon etait garde par les troupes. Les soldats
encombraient les quais et les places.
Il n'y avait plus d'illusion a se faire: l'armee pretait son appui au
coup d'Etat, ou tout au moins une partie de l'armee; quelques regiments
gagnes a l'avance, sans doute.
L'enterrement avait ete fixe a onze heures. Pourrait-il se faire au
milieu de cette revolution? La fusillade n'allait-elle pas eclater d'un
moment a l'autre, et les barricades n'allaient-elles pas se dresser au
coin de chaque rue?
L'arrivee des employes des pompes funebres redoubla mon trouble: leurs
paroles etaient contradictoires; tout etait tranquille; au contraire on
se battait dans le faubourg Saint-Antoine, a l'Hotel de ville.
Je ne savais a quel parti m'arreter; la venue de deux amis de mon pere
ne me tira pas d'angoisse, et il me fallut tenir conseil avec eux pour
savoir si nous ne devions pas differer l'enterrement. L'un, M. le
marquis de Planfoy, voulait qu'il eut lieu immediatement; l'autre, M.
d'Aray, voulait qu'il fut retarde, et je dus discuter avec eux, ecouter
leurs raisons, prendre une decision et tout cela dans cette chambre ou
depuis deux jours nous n'osions pas parler haut.
--Veux-tu exposer le corps de ton pere a servir de barricade? disait M.
d'Aray. Paris tout entier est souleve. Je viens de traverser la place de
l'Ecole-de-Medecine et j'ai trouve un rassemblement considerable forme
par les jeunes gens des ecoles. Il est vrai que ce rassemblement,
charge par les gardes municipaux a cheval, a ete dissipe, mais il va se
reformer; la lutte va s'engager, si elle n'est pas commencee.
--Et moi je vous affirme, dit M. de Planfoy, qu'il n'y aura rien au
moins pour le moment. Je viens de traverser les Champs-Elysees et la
place de la Concorde; j'ai vu Louis-Napoleon a la tete d'un nombreux
etat-major passer devant les troupes qui l'acclament, et qui sont si
bien disposees en sa faveur, qu'il leur fait crier ce qu'il veut;
ainsi, devant le palais de l'Assemblee, les gendarmes ayant crie
"Vive l'empereur!" il a fait repondre "Vive la Republique!" par
les cuirassiers de son escorte. Avant de tenter une resistance, on
reflechira. Les generaux africains et les chefs de l'Assemblee sont
arretes; il y a cinquante
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