ulees depuis la sinistre disparition
de son fiance, et c'est a peine si la pauvre Suzanne parvenait A
realiser sa situation de veuve avant d'avoir ete mariee.
Il convient d'ajouter que tout le monde, au Chalet, lui montrait une
sympathie emue,--Louis surtout, qui adorait sa soeur.
Combien de fois le jeune homme n'avait-il pas traverse la baie pour
aller aux informations et porter aux parents du pauvre Arthur les
condoleances de la fiancee, trop faible encore pour s'y rendre
elle-meme!
Bref, Suzanne avait ete tres malade et pouvait etre consideree, apres
deux semaines de crises nerveuses et de larmes, comme une convalescente
a sa premiere sortie.
On s'abstenait donc, en sa presence, de toute allusion au drame de
l'Ilot, et le mot d'ordre etait de n'avoir pas l'air d'etre sous le coup
d'une dea plus fortes emotions qu'eut encore eprouvee la petite colonie.
La conversation, toutefois, ne pouvait etre bien animee; et, aussitot le
repas termine, chacun se retirait pour vaquer a ses occupations.
Il en fut ainsi pendant quelques semaines....
Puis le temps, qui affaiblit les tons crus de toute douleur humaine, en
y etendant sa patine grisatre, amena une detente dans les esprits, une
sorte d'apaisement dans les coeurs....
Et c'est dans ces conditions de tranquillite morale relative que la
petite colonie de Kecarpoui entra dans cette periode d'isolement,
absolu, ressemblant un peu a un emprisonnement au milieu des glaces
polaires, et qui s'appelle: _Un hiver au Labrador...._
XXIV
SUR UN GLACON FLOTTANT
Des les premiers jours de novembre, la neige commenca a tomber,--une
neige molle, humide, rayant diagonalement l'atmosphere embrumee par le
sempiternel _nordet_, charge de vapeurs d'eau refroidies.
On remonta les goelettes jusqu'au fond de la baie, ou elles furent
degreees et mises en hivernement definitif.
Le bois de chauffage, les provisions de bouche, les engins de peche, les
agrea des barques, tout cela fut soigneusement remise ou encave.
Puis, satisfait d'avoir pris toutes les precautions voulues, on se
disposa a affronter courageusement l'ennui et l'horreur meme d'un hiver
labradorien.
Si nous disons: l'horreur, c'est une facon de parler....
Il est des horreurs sublimes, et les grands spectacles de la saison
hibernale, sur les bords du golfe Saint-Laurent, sont de celles-la!
Ces versants de montagnes drapes de neige, que trouent ci et la les
forets saupoudrees de blanc et les rochers
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