er a rire
aux petits mousses qui le surveillaient de leurs grands yeux
intelligents.
Il se coucha sur une voile pliee en quatre, laissa l'appareillage
se faire, et la barque, avec sa grande voile carree, prit le large
en deux heures de temps.
Les pecheurs, qui faisaient leur etat tout en marchant, ne
s'apercurent pas que leur passager n'avait point pali, point gemi,
point souffert; que malgre l'horrible tangage et le roulis brutal
de la barque, a laquelle nulle main n'imprimait la direction, le
passager novice avait conserve sa presence d'esprit et son
appetit.
Ils pechaient, et la peche etait assez heureuse. Aux lignes
amorcees de crevettes venaient mordre, avec force soubresauts, les
soles et les carrelets. Deux fils avaient deja ete brises par des
congres et des cabillauds d'un poids enorme; trois anguilles de
mer labouraient la cale de leurs replis vaseux et de leurs
fretillements d'agonie.
D'Artagnan leur portait bonheur; ils le lui dirent. Le soldat
trouva la besogne si rejouissante, qu'il mit la main a l'oeuvre,
c'est-a-dire aux lignes, et poussa des rugissements de joie et des
mordioux a etonner ses mousquetaires eux-memes, chaque fois qu'une
secousse imprimee a la ligne, par une proie conquise, venait
dechirer les muscles de son bras, et solliciter l'emploi de ses
forces et de son adresse. La partie de plaisir lui avait fait
oublier la mission diplomatique. Il en etait a lutter contre un
effroyable congre, a se cramponner au bordage d'une main pour
attirer la hure beante de son antagoniste, lorsque le patron lui
dit:
-- Prenez garde qu'on ne vous voie de Belle-Ile!
Ces mots firent l'effet a d'Artagnan du premier boulet qui siffle
en un jour de bataille: il lacha le fil et le congre, qui, l'un
tirant l'autre, s'en retournerent a l'eau.
D'Artagnan venait d'apercevoir a une demi-lieue au plus la
silhouette bleuatre et accentuee des rochers de Belle-Ile, dominee
par la ligne blanche et majestueuse du chateau. Au loin, la terre,
avec des forets et des plaines verdoyantes; dans les herbages, des
bestiaux.
Voila ce qui tout d'abord attira l'attention du mousquetaire.
Le soleil, parvenu au quart du ciel, lancait des rayons d'or sur
la mer et faisait voltiger une poussiere resplendissante autour de
cette ile enchantee. On n'en voyait, grace a cette lumiere
eblouissante, que les points aplanis; toute ombre tranchait
durement et zebrait d'une bande de tenebres le drap lumineux de la
prairie ou des
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