fita pour se mettre a hurler; Gilles attendit patiemment.
Quand son neveu eut compris que ses lamentations etaient inutiles, quand
il se tut, Gilles lui dit paisiblement:
--Te voila enfin raisonnable. Tiens, tu vois ce tas? C'est ta part:
cinquante ecus. Le reste est pour moi.
Le vieillard sourit et se versa un verre de vin.
--Avec ces cinquante ecus, tu t'en iras chercher fortune ailleurs, et
tache que je ne t'y reprenne plus, ou sans ca, cette fois, plus de
pitie: je t'occis.
La resolution de Gillot fut vite prise. Il simula la plus grande
resignation:
--Puisque vous le voulez ainsi, mon oncle... je m'en irai...
--Et ou iras-tu?
--Je ne sais pas... je quitterai Paris...
--Oui, j'y compte. Mais, avant de quitter Paris, tu iras bien un peu me
denoncer au marechal, hein?... Si fait! Je te connais.
--Je me tairai, mon oncle, je vous le jure!
--Oui, mais moi, je veux en etre sur. Et, pour cela, je vais te couper
la langue!
Gilles eclata de son rire demoniaque et ajouta:
--C'est toi qui m'en as donne l'idee. Comme tu m'avais deja donne l'idee
de te couper les oreilles. Bonnes idees, mon garcon, fameuses idees!
Quant a Gillot, son epouvante et son horreur furent telles qu'il
renversa la tete, exhala un soupir d'angoisse et s'evanouit.
Gilles, paisible et rapide, se mit a affuter un coutelas de cuisine.
Puis, saisissant une forte tenaille dans un tiroir, il s'approcha de
l'infortune.
Mais, alors, il s'apercut qu'il etait plus difficile d'arracher une
langue que de couper des oreilles. Il demeura un instant perplexe, sa
tenaille d'une main, son coutelas de l'autre.
"Bah! grommela-t-il, j'en viendrai bien a bout... Le pauvre Gillot, tout
de meme!"
Il se mit a pouffer en se figurant la tete qu'aurait son neveu.
Il etait sinistre.
Dehors, la tempete faisait rage autour de l'hotel et, par moment,
s'engouffrait en gemissant dans les couloirs.
Tout a coup, Gillot rouvrit les yeux.
Les hesitations de Gilles cesserent a l'instant meme. Gillot n'eut pas
le temps de pousser jusqu'au bout le cri de terreur et de supplication
que deja l'horrible vieux lui enfoncait sa tenaille dans la bouche, ou
plutot il cherchait a la lui enfoncer.
Le malheureux, les yeux sanglants, les veines du front gonflees par
l'effort, serrait les dents, en une crise de desespoir.
Cette lutte muette etait effroyable.
Gillot eut soudain une sorte de grognement bref, puis une longue, une
hideuse clameur strid
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