ais je n'ai bu de vin pareil, fit Gillot d'une voix pateuse.
Il avait la figure enluminee et les yeux brillants.
--Tiens, mon enfant, va donc prendre ce flacon, la, dans cette armoire
ouverte, et tu en boira? du meilleur.
Gillot se leva et obeit sans trop trebucher.
"Il n'est pas encore a point", murmura Gilles.
Et il versa a son neveu une nouvelle rasade.
--Ainsi, reprit-il, tu ne veux plus retourner a l'hotel Montmorency?
--Retourner la-bas! s'ecria Gillot en levant les bras au ciel. Vous n'y
pensez pas, mon oncle! Savez-vous que la maison est sens dessus dessous
depuis la disparition du vieux coupeur de langues?
--Coupeur de langues? interrogea Gilles.
--Oui... le damne Pardaillan!...
Gillot, renverse sur le dossier de son fauteuil, se mit a rire aux
eclats. Gilles fit chorus. Mais son rire, a lui, grincait comme une
vieille girouette et eut donne le frisson au neveu, si le neveu n'eut
pas ete occupe a ses agreables pensees.
--Or, continua Gillot, tout le monde, la-bas, se mefiait de moi. On
devait soupconner que j'etais pour quelque chose dans cette bonne farce;
je vous le dis, mon oncle, il etait temps que je m'en allasse... j'y
eusse laisse ma tete... et je tiens a ma tete, moi...
Au souvenir de la mutilation qu'il avait subie, Gillot porta les deux
mains a sa tete, soit pour s'assurer que cette tete etait bien toujours
a sa place, soit en signe d'adieu a ses oreilles defuntes. Il frissonna
et parut se degriser.
L'oncle se hata de remplir son gobelet.
--Pour une farce, reprit Gillot apres avoir bu, c'est une bonne farce!
Le Pardaillan avait en moi une confiance! Et quand je lui ai assure
qu'il trouverait monseigneur tout seul... il a failli m'embrasser...
Pauvre diable!
--Oui, mais il a voulu te couper les oreilles!
--C'est vrai! L'infame!...
--Et la langue!
--Oui-da!... Qu'il y vienne, maintenant!...
Gillot saisit un couteau et voulut se lever. Mais il retomba pesamment
assis et se mit a rire.
--En sorte, reprit Gilles, que tu es content?
--Content, mon oncle!... c'est-a-dire qu'il me semble que je reve!...
Quand je pense que, sur l'ordre de notre bon seigneur, vous m'avez
octroye mille ecus!
--Et tu es bien decide a ne plus retourner la-bas? dit Gilles.
--Vous etes, fou, mon oncle!...
--Imbecile! Puisque Pardaillan n'est plus la!
--Mais puisque je l'ai trahi!... Il me couperait la langue, voyez-vous!
Je veux jouir de mes mille ecus, moi!... Je veux boire,
|