a dicte toutes ses
feuilles, toutes ses paroles, toutes ses actions. Et il n'est tombe que
sous le poignard d'une femme! et plus de cinquante mille de ses images ont
ete erigees sur le sein de la republique!
"A ses cotes se placaient des hommes qui n'auraient pas concu eux-memes de
pareilles atrocites, mais qui, jetes avec lui, par un acte d'une extreme
audace, dans des evenemens dont la hauteur les etourdissait, et dont les
dangers les faisaient fremir, en desavouant les maximes du monstre, les
avaient peut-etre deja suivies, et n'etaient pas faches qu'on craignit
qu'ils pussent les suivre encore. Ils avaient horreur de Marat, mais ils
n'avaient pas horreur de s'en servir. Ils le placaient au milieu d'eux,
ils le mettaient en avant, ils le portaient en quelque sorte sur leur
poitrine comme une tete de Meduse. Comme l'effroi que repandait un pareil
homme etait partout, on croyait le voir partout lui-meme, on croyait en
quelque sorte qu'il etait toute la Montagne, ou que toute la Montagne
etait comme lui. Parmi les chefs, en effet, il y en avait plusieurs qui ne
reprochaient aux forfaits de Marat que d'etre un peu trop sans voile.
"Mais parmi les chefs memes ( et c'est ici que la verite me separe de
l'opinion de beaucoup d'honnetes gens), parmi les chefs memes etaient un
grand nombre d'hommes qui, lies aux autres par les evenemens beaucoup plus
que par leurs sentimens, tournaient des regards et des regrets vers la
sagesse et l'humanite; qui auraient eu beaucoup de vertus et auraient
rendu beaucoup de services, a l'instant ou on aurait commence a les en
croire capables. Sur la Montagne se rendaient, comme a des postes
militaires, ceux qui avaient beaucoup la passion de la liberte et peu la
theorie, ceux qui croyaient l'egalite menacee ou meme rompue par la
grandeur des idees et par l'elegance du langage; ceux qui, elus dans les
hameaux et dans les ateliers, ne pouvaient reconnaitre un republicain que
sous le costume qu'ils portaient eux-memes; ceux qui, entrant pour la
premiere fois dans la carriere de la revolution, avaient a signaler cette
impetuosite et cette violence par laquelle avait commence la gloire de
presque tous les grands revolutionnaires; ceux qui, jeunes encore et plus
faits pour servir la republique dans les armees que dans le sanctuaire des
lois, ayant vu naitre la republique au bruit de la foudre, croyaient que
c'etait toujours au bruit de la foudre qu'il fallait la conserver et
promulguer ses decrets
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