mille francs! c'etait une somme, cela!
Il gagna la rue de la Paix et commenca a se promener de long en large
sur le trottoir, en face de la boutique. Dix-huit mille francs! Vingt
fois il faillit entrer; mais la honte l'arretait toujours.
Il avait faim pourtant, grand faim, et pas un sou. Il se decida
brusquement, traversa la rue en courant pour ne pas se laisser le temps
de reflechir, et il se precipita chez l'orfevre.
Des qu'il l'apercut, le marchand s'empressa, offrit un siege avec une
politesse souriante. Les commis eux-memes arriverent, qui regardaient de
cote Lantin, avec des gaietes dans les yeux et sur les levres.
Le bijoutier declara:--Je me suis renseigne, Monsieur, et si vous etes
toujours dans les memes dispositions, je suis pret a vous payer la somme
que je vous ai proposee.
L'employe balbutia:--Mais certainement.
L'orfevre tira d'un tiroir dix-huit grands billets, les compta, les
tendit a Lantin, qui signa un petit recu et mit d'une main fremissante
l'argent dans sa poche.
Puis, comme il allait sortir, il se tourna vers le marchand qui souriait
toujours, et, baissant les yeux:--J'ai... j'ai d'autres bijoux... qui me
viennent... qui me viennent... de la meme succession. Vous
conviendrait-il de me les acheter aussi?
Le marchand s'inclina:--Mais certainement, monsieur. Un des commis
sortit pour rire a son aise; un autre se mouchait avec force.
Lantin impassible, rouge et grave, annonca:--Je vais vous les apporter.
Et il prit un fiacre pour aller chercher les joyaux.
Quand il revint chez le marchand, une heure plus tard, il n'avait pas
encore dejeune. Ils se mirent a examiner les objets, piece a piece,
evaluant chacun. Presque tous venaient de la maison.
Lantin, maintenant, discutait les estimations, se fachait, exigeait
qu'on lui montrat les livres de vente, et parlait de plus en plus haut a
mesure que s'elevait la somme.
Les gros brillants d'oreilles valent vingt mille francs, les bracelets
trente-cinq mille, les broches, bagues et medaillons seize mille, une
parure d'emeraudes et de saphirs quatorze mille; un solitaire suspendu a
une chaine d'or formant collier quarante mille; le tout atteignant le
chiffre de cent quatre-vingt-seize mille francs.
Le marchand declara avec une bonhomie railleuse:--Cela vient d'une
personne qui mettait toutes ses economies en bijoux.
Lantin prononca gravement.--C'est une maniere comme une autre de placer
son argent. Et il s'en alla apres avoir de
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