le y devoit dormir cent ans, & qu'elle seroit reveillee par le fils
d'un Roy, a qui elle estoit reservee. Le jeune Prince a ce discours se
sentit tout de feu; il crut sans balancer qu'il mettroit fin a une si
belle avanture, & pousse par l'amour & par la gloire, il resolut de voir
sur le champ ce qui en estoit. A peine s'avanca-t-il vers le bois, que
tous ces grands arbres, ces ronces & ces epines s'ecarterent
d'elles-mesmes pour le laisser passer: il marche vers le Chasteau qu'il
voyoit au bout d'une grande avenue ou il entra, & ce qui le surprit un
peu, il vit que personne de ses gens ne l'avoient pu suivre, parce que
les arbres s'estoient rapprochez des qu'il avoit este passe. Il ne
laissa pas de continuer son chemin: un Prince jeune & amoureux est
toujours vaillant. Il entra dans une grande avancour ou tout ce qu'il
vit d'abord estoit capable de le glacer de crainte: c'estoit un silence
affreux, l'image de la mort s'y presentoit par tout, & ce n'estoit que
des corps etendus d'hommes & d'animaux, qui paroissoient morts. Il
reconnut pourtant bien au nez bourgeonne, & a la face vermeille des
Suisses, qu'ils n'estoient qu'endormis, & leur tasses ou il y avoit
encore quelques goutes de vin, montroient assez qu'ils s'estoient
endormis en beuvant. Il passe une grande cour pavee de marbre, il monte
l'escalier, il entre dans la salle des Gardes qui estoient rangez en
haye, la carabine sur l'epaule, & ronflans de leur mieux. Il traverse
plusieurs chambres pleines de Gentilshommes & de Dames, dormans tous,
les uns de bout, les autres assis; il entre dans une chambre toute
doree, & il vit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous
cotez, le plus beau spectacle qu'il eut jamais veu: Une Princesse qui
paroissoit avoir quinze ou seize ans, & dont l'eclat resplendissant
avoit quelque chose de lumineux & de divin. Il s'approcha en tremblant &
en admirant, & se mit a genoux aupres d'elle. Alors comme la fin de
l'enchantement estoit venue, la Princesse s'eveilla; & le regardant avec
des yeux plus tendres qu'une premiere veue ne sembloit le permettre;
est-ce vous, mon Prince, luy dit-elle, vous vous estes bien fait
attendre. Le Prince charme de ces paroles, & plus encore de la maniere
dont elles estoient dites, ne scavoit comment luy temoigner sa joye & sa
reconnoissance; il l'assura qu'il l'aimoit plus que luy-mesme. Ses
discours furent mal rangez, ils en plurent davantage, peu d'eloquence,
beaucoup d'amour: Il estoit plus em
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