nserver, car moi aussi j'ai change: je ne suis plus cet homme
ambitieux et inquiet qu'un avenir inconnu torturait de ses menteuses
promesses. Je sais la vie aujourd'hui, je sais ce que vaut le monde et
son faux eclat. Je sais que pas un de mes triomphes n'a valu un seul de
vos regards, et la chimere du bonheur que j'ai poursuivie m'a toujours
fui jusqu'au jour ou elle me ramene a vous. Oh! Lavinia, reviens a moi
aussi! Qui t'aimera comme moi? qui verra comme moi ce qu'il y a de
grandeur, de patience et de misericorde dans ton ame?"
Lavinia gardait le silence, mais son coeur battait avec une violence
dont s'apercevait Lionel. Sa main tremblait dans la sienne, et elle ne
cherchait pas a la retirer, non plus qu'une tresse de ses cheveux que le
vent avait detachee et que Lionel couvrait de baisers. Ils ne sentaient
pas la pluie qui tombait en gouttes larges et rares. Le vent avait
diminue, le ciel s'eclaircissait un peu, et le comte de Morangy venait
a eux aussi vite que pouvait le lui permettre son cheval deferre et
boiteux, qui avait failli le tuer en tombant contre un rocher.
Lavinia l'apercut enfin et s'arracha brusquement aux transports de
Lionel. Celui-ci furieux de ce contre-temps, mais plein d'esperance et
d'amour, l'aida a se remettre a cheval, et l'accompagna jusqu'a la porte
de sa maison. La elle lui dit en baissant la voix: "Lionel, vous m'avez
fait des offres dont je sens tout le prix. Je n'y peux repondre sans y
avoir murement reflechi...
--O Dieu! c'est la meme reponse qu'a M. de Morangy!
--Non, non, ce n'est pas la meme chose, repondit-elle d'une voix
alteree. Mais votre presence ici peut faire naitre bien des bruits
ridicules. Si vous m'aimez vraiment, Lionel, vous allez me jurer de
m'obeir.
--Je le jure par Dieu et par vous.
--Eh bien! partez sur-le-champ, et retournez a Bagneres; je vous jure a
mon tour que dans quarante heures vous aurez ma reponse.
--Mais que deviendrai-je, grand Dieu! pendant ce siecle d'attente?
--Vous espererez, lui dit Lavinia en refermant precipitamment la porte
sur elle, comme si elle eut craint d'en dire trop."
Lionel espera en effet. Il avait pour motifs une parole de Lavinia et
tous les arguments de son amour-propre.
"Vous avez tort d'abandonner la partie, lui disait Henry en chemin;
Lavinia commencait a s'attendrir. Sur ma parole, je ne vous reconnais
pas la, Lionel. Quand ce n'eut ete que pour ne pas laisser Morangy
maitre du champ de bataille... Allons!
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