yez point de
crainte, ce n'est rien. Toutes fois pour l'asseurer il lui conta la verite
du fait. Or il m'a asseure que depuis cest esprit l'a toujours accompagne,
lui donnant un signe sensible, comme le touchant tantost l'oreille dextre,
s'il faisoit quelque chose qui ne fust bonne, et a l'oreille senestre, s'il
faisoit bien. Et s'il venoit quelqu'un pour le tromper et surprendre, il
sentoit soudain le signal a l'oreille dextre; si c'estoit quelque homme de
bien, et qui vinst pour son bien, il sentoit aussi le signal a l'oreille
senestre. Et quand il vouloit boire et manger chose qui fust mauvaise, il
sentoit le signal; s'il doutoit aussi de faire ou entreprendre quelque
chose, le mesme signal lui avenoit. S'il pensoit quelque chose mauvaise, et
qu'il s'y arrestast, il sentoit aussi tost le signal pour s'en destourner.
Et quelquesfois quand il commencoit a louer Dieu par quelque psalme ou
parler de ses merveilles, il se sentoit saisi de quelque force spirituelle,
qui lui donnoit courage. Et afin qu'il discernast le songe par inspiration
d'avec les autres resveries qui aviennent quand on est mal dispose, ou que
l'on est trouble d'esprit, il estoit esveille de l'esprit sur les deux ou
trois heures du matin; et un peu apres il s'endormoit. Alors il avoit les
songes veritables de ce qu'il devoit faire ou croire des doutes qu'il
avoit, ou de ce qui lui devoit avenir. En sorte qu'il dit que depuis ce
temps-la ne lui est advenu quasi chose dont il n'ait eu advertissement, ni
doute des choses qu'on doit croire, dont il n'ait eu resolution. Vrai est
qu'il demandoit tous les jours a Dieu qu'il lui enseignast sa volonte, sa
loy, sa verite... Au surplus de toutes ses actions il estoit assez joyez et
d'un esprit gay. Mais si en compagnie il lui advenoit de dire quelque
mauvaise parole et de laisser pour quelques jours a prier Dieu, il estoit
aussi tost adverti en dormant. S'il lisoit un livre qui ne fust bon,
l'esprit frappoit sur le livre, pour le lui faire laisser, et estoit aussi
tost destourne s'il faisoit quelque chose contre sa sante, et en sa maladie
garde soigneusement... Surtout il estoit adverti de se lever matin, et
ordinairement des quatre heures, il dit qu'il ouyt une voix en dormant qui
disoit: Qui est celui qui le premier se levera pour prier? Aussi dit-il
qu'il estoit souvent adverti de donner l'aumosne; et lorsque plus il
donnoit l'aumosne, plus il sentoit que ses afaires prosperoyent. Et comme
ses ennemis avoyent deli
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