avec un deplaisir contenu par la
politesse. Aurait-il devine que ce jour-la, pour la premiere fois,
Horace n'avait pas le moyen de s'acquitter? Mais comment eut-il pu le
deviner? Horace avait reforme son equipage et quitte le joli appartement
garni qu'il occupait, sous pretexte d'un prochain voyage en Italie
annonce depuis longtemps, projet a la faveur duquel il s'etait dispense
d'acheter des meubles et de s'installer conformement a sa pretendue
aisance. Il feignit d'etre encore retenu pour quelques jours par des
affaires imprevues, esperant que, durant ce peu de jours, la fortune
du jeu, et meme celle de l'amour, changeraient en sa faveur, et lui
permettraient de reculer indefiniment son voyage.
Neanmoins, ce froid visage de son noble ami, et une sorte d'affectation
qu'il crut remarquer en lui de ne pas l'accompagner a l'Opera, lui
causerent une profonde inquietude. Il craignit d'avoir laisse soupconner
sa position facheuse par l'air soucieux qu'il avait depuis quelques
jours, et resolut d'effacer ces doutes en se montrant le soir en public
avec son dandysme accoutume. Il alla trouver au fond de la Cite un
brocanteur auquel il avait eu affaire autrefois, et il lui vendit a
grande perte son epingle en brillants; mais il eut une centaine de
francs dans sa poche, loua une remise, mit le meilleur habit qui
lui restat, passa une rose magnifique dans sa boutonniere, et alla
s'installer a l'avant-scene de l'Opera, dans une de ces loges en
evidence qu'on appelle aujourd'hui, je crois, _cages aux lions_. A cette
epoque-la, les elegants du Cafe de Paris ne portaient pas encore ce nom
bizarre; mais je crois bien que c'etait la meme espece de dandys, ou peu
s'en faut. Horace etait enrole dans cette variete de l'espece humaine,
et faisait profession de se montrer. Il avait ses entrees dans cette
loge, ou Louis de Meran payait une part de location, et l'emmenait une
ou deux fois par semaine. Il y etait toujours accueilli par les autres
occupants avec cordialite; car on l'aimait, et son esprit animait ce
groupe flaneur et ennuye. Mais ce soir-la on tourna a peine la tete
lorsqu'il entra, et personne ne se derangea pour lui faire place. Il est
vrai que Nourrit chantait avec madame Damoreau le duo de Guillaume Tell:
O Mathilde, idole de ma vie, etc.
Probablement on ecoutait dans ce moment avec plus d'attention. Horace,
un instant effraye, se rassura; et bientot il reprit tout son aplomb,
lorsqu'a la fin de l'acte un de ces messi
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