repas sans se douter que deux jeunes gens les suivaient avec tant
d'attendrissement.
Apres le boeuf etait venu le gigot, et puis des haricots, et puis
de la salade, et puis le dessert.
A ce moment-la, le temps devenant plus frais, on ferma la fenetre.
Une des jeunes filles se mit au piano. Une autre chantait.
Du quai, on n'entendait rien, mais on devinait facilement que
cette musique devait etre charmante.
A force de prendre des absinthes, toujours la derniere, les amis
eprouvaient une violente emotion. Ils pleuraient comme des veaux,
litteralement.
-- Ah! la vie de famille!
A un moment, Delavanne sembla prendre une grande resolution.
-- Tiens! nous sommes imbeciles de nous desoler. Tout ca peut bien
s'arranger. Si tu veux, nous allons monter chez ces gens demander
la main des demoiselles.
Vous devinez l'accueil.
Le graveur heraldique, d'abord ahuri, leur repliqua par une
allocution d'une extreme vivacite, ou le terme de sale pochard
venait avec une frequence regrettable.
Delavanne se drapa dans une dignite prodigieuse:
-- Votre refus, monsieur l'artisan, ne perdrait rien a etre
formule en termes plus choisis.
-- Avec tout ca, objecta Ribeyrou, il nous faut regagner
Montmartre. Prenons l'omnibus.
-- Oh! non, plus d'omnibus; je commence a en avoir assez.
Le lendemain matin, les deux amis, apres une nuit tumultueuse, se
retrouverent aux environs du bastion de Saint-Ouen, sans pouvoir
reconstituer la chaine des evenements qui les avaient amenes dans
cet endroit heteroclite.
En buvant le dernier mele-cassis, Ribeyrou fut pris d'un eclat de
rire.
-- Je sais ce que tu as, s'exclama Delavanne: tu penses au graveur
heraldique d'hier.
-- Ah! oui... dans leur entrepont!
-- Crois-tu, hein?...
-- Quelles moules!
Et ils allerent se coucher.
COMFORT
Je ne sais pas si vous etes comme moi, mais j'adore l'Angleterre.
Je lacherais tout, meme la proie, pour Londres.
J'aime ses bars, ses music-halls, ses vieilles femmes saoules en
chapeau a plume.
Et puis, il y a une chose a se tordre qui vaut, a elle seule, le
voyage: c'est la contemplation du _comfortable_ anglais.
Le monsieur qui, le premier, a lance la legende du _comfortable_
anglais etait un bien prodigieux fantaisiste. J'aimerais tant le
connaitre!
Le _comfortable_ anglais... Oh! laissez-moi rire un peu et je
continue.
D'ailleurs ca m'est egal, le confortable.
Quand on a ete, comme moi, eleve a la dure par
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