donc", lui dit le bichon; et en lui-meme le bichon
pensait: "On la prendrait pour la suivante de notre reine".
Tout a coup un cri aigu troubla la tranquillite du soir. Le bichon se
retourna vivement. La reine, qui avait perdu toute majeste et meme toute
retenue, s'enfuyait a toutes jambes. Sa jolie figure, toute pale, etait
enlaidie par une expression de terreur abjecte.
"Qu'est-ce qu'il y a?" s'ecria Suzanne epouvantee.
Au lieu de lui repondre, la reine, qui semblait avoir perdu la vue
aussi bien que l'ouie, la bouscula violemment et la renversa dans la
poussiere. Sans prendre le soin de la ramasser, la reine eperdue gagna
la porte du jardin, l'ouvrit et la referma brusquement derriere elle.
Elle continuait de pousser des cris aigus, bousculant tout sur son
passage, et jetant l'effroi dans toute la maison, sans pouvoir expliquer
la cause de sa propre terreur. Elle monta l'escalier en courant, et ne
s'arreta que quand il lui fut impossible de monter plus haut.
Au moment ou Marthe se mettait en devoir de relever Suzanne, qui etait
tout etourdie de sa chute violente, un gros ours brun apparut au
tournant du sentier.
"Sauve-toi, dit Marthe a Suzanne, vite, ma mignonne, sauve-toi, pour
l'amour de Dieu."
Suzanne, a moitie relevee, retomba sur ses genoux; incapable de faire
un mouvement, elle s'affaissa sur ses talons; ses deux mains jointes
pendaient inertes devant elle, elle regardait l'ours qui trottinait sans
se presser, et ses levres fremissaient.
Sans hesiter une seconde, Marthe, tres pale, mais tres resolue, passa
devant elle et marcha droit a l'ours. Arrivee a quelques pas de lui,
elle leva d'un geste energique la petite ombrelle qu'elle tenait, en
criant: "Arriere, vilaine bete! arriere!"
L'ours, interdit, la regarda en clignant ses yeux clairs, et, comme elle
continuait a s'avancer pour le tenir en respect et donner a Suzanne
le temps de fuir, il souffla dans sa museliere et parut prendre une
resolution energique.
Se dressant a moitie, il s'assit lourdement dans la poussiere et,
saisissant le bout de ses pattes de derriere avec ses pattes de devant,
il se mit a se dandiner lourdement d'avant en arriere et de droite a
gauche.
"Oui, oui, je te conseille de faire le beau", dit une grosse voix, la
voix d'un grand gaillard en guenilles, qui venait de tourner a son tour
le coin du sentier. Cet homme etait tout rouge et tout essouffle a force
d'avoir couru. "Ah! brigand! reprit-il en saisissant la ch
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