is quelque temps Suzanne
appelait Alix sa _reine_ et Alix appelait Suzanne son _bichon_.) Donc,
la reine arrachait le bichon a la fureur des flots, et venait le deposer
entre les bras de sa maman. Et alors la maman deposait un baiser sur le
front de la reine, levait les yeux au ciel et se mettait a l'adorer pour
la vie. (Pour le moment, et c'etait un des grands soucis de Suzanne,
Mme Loudeac temoignait un enthousiasme tres modere pour les vertus et
perfections de la reine.) Une autre fois, un cheval emporte faisait
mine de fouler le bichon aux pieds. Plus prompte que l'eclair, la reine
s'elancait, enlevait le bichon a bras tendus, et tout d'une traite le
portait a Mme Loudeac. Baiser sur le front, cela va sans dire, regards
leves au ciel.
Une autre fois encore, un taureau descendait du plateau, rendu furieux
par les mouches. Le bichon va etre encorne et mis en pieces. Oui, mais
un coup de feu retentit, le taureau tombe pour ne plus se relever. La
reine apparait tenant encore a la main sa carabine de salon. On devine
le reste.
Un jour que le bichon, la reine et l'humble Marthe avaient fait la
dinette a la villa des Tamarix, il leur prit fantaisie de faire un petit
tour jusqu'a une plate-forme d'ou l'on voit arriver les bateaux qui
reviennent de la peche. Pour etre tout a fait exact, disons que cette
fantaisie vint a la reine. Le bichon trouva l'idee admirable--regle
generale, la reine n'avait que des idees admirables.--Marthe essaya
bien, il est vrai, de faire quelques timides objections. Sans doute,
dans un petit village comme Varangues-sur-Mer, ou tout le monde se
connait, les enfants peuvent aller et venir sans inconvenient et sans
danger, des villas a la plage et de la plage aux villas. Pourtant ne
ferait-on pas bien de prevenir Mme Loudeac? La reine, sans daigner
repondre, ouvrit la porte a claire-voie, le bichon la suivit, et Marthe,
ne voulant pas avoir l'air de leur faire la lecon, les accompagna.
La reine continuait a marcher devant, le menton releve, comme il
convient a une reine, ayant ses cheveux d'or sur les epaules en guise
de manteau royal. Elle avait une si fiere allure, son pas etait si
vaillant, si heroique, que le bichon, tout frissonnant d'enthousiasme,
se retourna involontairement pour faire la comparaison de cette royale
allure avec la demarche modeste de la pauvre Marthe, qui, toute contrite
de se savoir en etat de desobeissance, s'avancait la tete basse, d'un
pas incertain.
"Allons, viens
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