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taient fermees; les habitants, quoique nos amis, avaient ete epouvantes en voyant cinquante a soixante mille devorants, comme nous etions, dont une partie avait l'air fou et imbecile; et d'autres, comme des enrages, couraient en frappant a toutes les portes et aux magasins, ou l'on ne voulait rien leur donner ni distribuer, parce que les fournisseurs voulaient que tout se fit en ordre, chose impossible, puisque l'ordre n'existait plus. Comme je voyais qu'il n'etait pas possible de se procurer ce dont j'avais besoin, je me decidais a revenir au faubourg, lorsque je m'entendis appeler par mon nom; je me retourne et, a ma grande surprise, j'apercois Picart qui me saute au cou et m'embrasse en pleurant de plaisir. Depuis le passage de la Berezina, deux fois il avait rencontre le regiment, mais on lui avait assure que j'etais mort ou prisonnier. Il me dit qu'il avait de la farine et qu'il allait la partager avec moi; que, pour de l'eau-de-vie, il me conduirait chez son juif, ou il se faisait fort de m'en avoir, et probablement du pain. Je le priai de m'y conduire en attendant que l'on distribuat des vivres dont j'avais la certitude que l'on aurait, puisque les magasins etaient remplis. Je n'oublierai jamais le singulier effet que produisit sur moi la vue d'une maison habitee; il me semblait qu'il y avait des annees que je n'en avais vu. Picart me fit prendre un peu d'eau-de-vie, que j'eus bien de la peine a avaler: ensuite, j'en achetai une bouteille pour vingt francs, que je mis precieusement dans ma carnassiere. Mais, pour du pain, il fallait attendre jusqu'au soir; il y avait cinquante jours que je n'en avais mange, il me semblait que j'aurais oublie toutes mes miseres, si j'en avais eu. Le juif me conta que les premiers qui etaient arrives le matin avaient tout devore; il nous conseilla de ne pas sortir de chez lui, d'attendre et d'y coucher, qu'il se chargeait de nous procurer tout ce dont nous aurions besoin, et d'empecher que d'autres n'entrent chez lui. D'apres son avis, je me decidai a me reposer sur un banc contre le poele. Je demandai a Picart comment il se faisait qu'il etait si bien avec cette famille juive, car je voyais qu'on le traitait comme un enfant de la maison. Il me repondit qu'il s'etait fait passer pour le fils d'une juive; qu'il avait, pendant les quinze jours que nous avions reste dans cette ville, au mois de juillet, toujours ete avec eux a la synagogue, parce qu'a la suite de cela, il y
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