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uvenirs? De la Quartfourche vendue, je le
savais, rien ne devait lui rester ni lui revenir. Que ne
s'enfuyait-elle? Et je revais de l'enlever ce soir dans ma voiture; je
precipitais mon allure; je courais presque, quand soudain, loin devant
moi, je l'apercus. C'etait elle, a n'en pas douter, en deuil et nu-tete,
assise sur le tronc d'un arbre abattu en travers de l'allee. Mon coeur
battit si fort que je dus m'arreter quelques instants; puis, vers elle,
lentement j'avancai, tranquille et indifferent promeneur.
--Excusez-moi Madame ... je suis bien ici a la Quartfourche?
Un petit papier a ouvrage etait pose sur le tronc d'arbre a cote d'elle
plein de bobines, d'instruments de couture, de morceaux de crepe
enroules sur eux-memes ou defaits, et elle s'occupait a en disposer
quelques lambeaux sur une modeste capote de feutre qu'elle tenait a la
main; un ruban vert, que sans doute elle venait d'en arracher, trainait
a terre. Un tres court mantelet de drap noir couvrait ses epaules, et,
quand elle leva la tete, je remarquai l'agrafe vulgaire qui en retenait
le col clos. Sans doute m'avait-elle apercu de loin, car ma voix ne
parut pas la surprendre.
--Vous veniez pour acheter la propriete? dit-elle, et sa voix que je
reconnus me fit battre le coeur. Que son front decouvert etait beau!
--Oh! je venais en simple visiteur. Les grilles etaient ouvertes et j'ai
vu des gens circuler. Mais peut-etre etait-il indiscret d'entrer?
--A present, peut bien entrer qui veut! Elle soupira profondement, mais
se reprit a son ouvrage comme si nous ne pouvions avoir rien de plus a
nous dire.
Ne sachant comment continuer un entretien qui peut-etre serait unique,
qui devait etre decisif, mais que le temps ne me paraissait pas venu de
brusquer; soucieux d'y apporter quelque precaution et la tete et le
coeur uniquement pleins d'attente et de questions que je n'osais encore
poser, je demeurais devant elle, chassant du bout de ma canne de menus
eclats de bois, si gene, si impertinent a la fois et si gauche, qu'a la
fin elle releva les yeux, me devisagea et je crus qu'elle allait eclater
de rire; mais elle me dit simplement, sans doute parce qu'alors je
portais un chapeau mou sur des cheveux longs, et parce que ne me
pressait apparemment aucune occupation pratique:
--Vous etes artiste?
--Helas! non, repliquai-je en souriant, mais qu'a cela ne tienne; je
sais gouter la poesie. Et sans oser la regarder encore, je sentais son
regard m'envel
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