oncle et par moi. Il a des moments,
ajouta-t-il en soupirant, ou je voudrais abdiquer et me retirer au fond
d'un monastere du mont Athos."
Je crus devoir le dissuader d'un projet si nuisible aux interets de son
pays.
--Rassurez-vous, me dit-il, nous autres Tsernogorstes, nous ne pouvons
pas vivre loin de notre patrie. Vous voyez bien ce domestique?"
Il me montrait le serviteur charge d'allumer son tchibouk.
Il y a quelques annees, mille familles, representant plusieurs milliers
de guerriers avaient consenti, moyennant une solde considerable, a
emigrer dans le Caucase, ou la Russie comptait les opposer aux
Tcherkesses. Arrives dans le pays, les guerriers montenegrins perdirent
tout d'un coup leur energie; ils etaient devenus laches; ils desertaient
en masse, ou succombaient a une langueur produite par la nostalgie.
Quelque temps avant de mourir, mon oncle, qui avait permis cette
emigration, se desolait souvent en songeant qu'il avait envoye tant de
braves a la mort, lorsqu'il vit de sa fenetre un homme se trainant sur
le sentier qui conduit a Tsetinie.
Cet homme, succombant a la fatigue, tomba evanoui avant d'atteindre au
plateau. Mon oncle envoya a son secours, et le fit transporter chez lui.
Dieu soit loue, s'ecria le malade, j'ai revu _ma petite montagne Noire_
(_dogoritli Hevnoi_), je puis mourir.
Ce malade, aujourd'hui vivant et tres-vivant, c'est mon porteur de
tchibouk, qui avait supporte des fatigues et des privations dont le
recit seul vous ferait fremir, pour revoir son pays.
Nous sommes ainsi faits, ajouta le vladika, on dirait qu'un charme
magique nous attache a la montagne Noire.
XXI.
Le journal dont nous venons de citer des fragments explique assez bien
les motifs qui ont pousse le vladika du Montenegro a prendre parti dans
la guerre commencee entre l'empereur de Russie et la Porte ottomane.
Outre la communaute de religion, cause toujours si puissante de
sympathie entre deux peuples, la Russie n'a neglige aucun moyen de
rattacher a sa fortune le Montenegro et ses habitants. La plupart des
chefs importants des _serdars_ montenegrins recoivent des pensions de la
Russie. Celle de Pierre II s'elevait a plus de 80 000 francs, et elle a
ete continuee a son successeur Danilo.
Le vladika Pierre Ier, fondateur de la dynastie actuelle, a insere dans
son testament une clause dans laquelle il recommande avant toutes choses
a ses successeurs de vivre toujours en paix et en bonne intel
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