le petit singe.
En effet, la maman ouvre la fenetre et Bebe lance elle-meme son meilleur
ami dans la cour.
Une fois blottie dans son lit blanc avec la precieuse poupee bleue,
l'heure du dodo venue, la pauvre petite s'apercut bien qu'il lui
manquait pourtant quelque chose, car deux fois, elle rappela sa mere
qui l'avait ce soir-la bordee longuement, se sentant tout attristee,
le coeur fondu de compassion devant l'ingenuite de ce sacrifice sans
murmures; elle demanda du lait et voyant la tasse fraichement videe,
reprit avec un soupir:
--Bonsoir, maman.
Une priere, une seule, se pressait sur ses levres qu'elle n'osait
formuler, la sentant deraisonnable.
A la fin, trouvant un ingenieux pretexte pour trahir son gros regret:
--N'en a plus. Donne au cat! fit sa douce voix, du meme ton insidieux et
enjoleur qu'on le lui avait repete tout le jour en vue du succes final.
Le tyran dans son antre, oubliant de lire son journal, attendait avec
impatience la fin de l'aventure.
--Eh bien! dit-il, des qu'il la vit revenir, allant a pas de loup,
marchant avec precaution comme si le moindre souffle eut pu compromettre
la victoire esperee.
Bebe ne pleura pas, mais elle s'endormit fort tard, et au petit jour
elle s'eveilla en larmes demandant le sucon, puis s'avisant aussitot de
l'absurdite de sa requete, elle se mit a crier plus fort.
--Quelque chose de bon!
Son innocente lachete avait encore sa pudeur.
Ce fut la reaction; et les evenements ne tarderent pas a justifier les
previsions de la clairvoyance maternelle.
Au bout d'une semaine ce gros chagrin etait oublie... et puis quoi!..
Eh bien Bebe ne s'en trouva pas plus mal, au contraire, puisqu'on ne
l'empoisonnait plus, et ce furent pour les sages les regrets:
Cette importante reforme si habilement obtenue, cet avancement notable
de l'enfant, ce progres fameux, qu'etait-ce en effet?....
La derniere etape de cet age exquis de la premiere enfance ou notre
cheri n'est qu'un poupon gras et rose qui tient tout, comme une petite
boule, dans la corbeille que lui font nos bras.
C'est le commencement de cet autre ou l'on devient consequent, ou l'on
comprend, ou l'on souffre.
Y a-t-il vraiment la de quoi etre fier?
C'est bien la peine de sevrer les pauvres innocents de leurs pures
joies! Par quoi les remplace-t-on?
Par les enseignements maussades de la raison, de l'experience--cette
maratre qui ne sait corriger qu'en chatiant.
Pauvre bebe, cher petit
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